Selon certaines théories de biologie évolutive, la survie sur une longue période d’une espèce animale sans reproduction sexuée est très improbable. Un dogme qu’un petit acarien, baptisé «Oppiella nova», met à mal dans une étude internationale menée par le DrSc. Alexander Brandt et codirigée par la Pre Tanja Schwander, au Département d’écologie et évolution de l’UNIL. Leurs résultats sont à découvrir dans l’édition du 17 septembre 2021 de la revue «PNAS».
Mesurant moins d’un millimètre et invisible à l’œil nu, Oppiella nova est une espèce d'acarien du sol de la famille des Oppiidae, présente dans le monde entier. Ce minuscule oribate préfère vivre dans la forêt, où il s’attelle notamment à décomposer la litière de feuilles. Mais qu’est-ce qui rend cet arachnide si intéressant aux yeux des chercheurs? «Eh bien…. le sexe! rétorque Tanja Schwander, professeure associée au Département d’écologie et évolution de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Ou plus exactement, l’absence de reproduction sexuée pendant très, très longtemps, peut-être des millions d’années.»
En effet, l’existence d’espèces animales asexuées très anciennes est, a priori, très improbable, tant ce mode de reproduction semble être désavantageux sur le long terme. Comment, sinon, expliquer que presque toutes les espèces animales se reproduisent sexuellement? Et si, pourtant, une reproduction asexuée exclusive était parvenue à traverser les âges? C’est précisément cette hypothèse qu’une équipe internationale de scientifiques de Suisse (Université de Lausanne), d’Allemagne (Universités de Cologne et de Göttingen) et de France (Université de Montpellier), s’est donné pour objectif de vérifier grâce à Oppiella nova.
L’effet Meselson
Dans leurs travaux parus dans l’édition du 17 septembre 2021 du journal Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), les biologistes partent du principe qu’une reproduction purement asexuée devrait laisser, du moins en théorie, une trace particulièrement caractéristique dans la constitution génétique, appelée ‘effet Meselson’. «Chez les organismes à deux jeux de chromosomes, c’est-à-dire qui possèdent deux copies de leur génome, comme cela est le cas chez les humains et les acariens sexués, le sexe assure un ‘mélange’ constant des deux copies, explique la Pre Tanja Schwander, codirectrice de l’étude. L’absence de sexe, et donc de ‘mélange’, chez les espèces animales asexuées, permet aux deux copies d’accumuler des mutations indépendamment l’une de l’autre et donc de se différencier peu à peu. Les deux exemplaires évoluent ainsi chacun de leur côté.»
Toutefois, cet effet Meselson n’avait jusqu’à présent jamais été démontré de façon concluante chez l’animal. Une lacune que vient combler les nouvelles recherches publiées dans PNAS.
Il n’existe pas d’impossibilité théorique
Dans le détail, les spécialistes ont collecté différentes populations d’Oppiella nova ainsi que d’Oppiella subpectinanta, une espèce sœur présente notamment en Allemagne, étroitement apparentée mais sexuée. Ils ont ensuite séquencé les différents génomes et analysé les informations génétiques. «C’était un travail laborieux, car les acariens ne mesurent qu’un cinquième de millimètre et sont difficiles à identifier», témoigne le DrSc. Alexander Brandt, premier auteur de l’article. «Mais nos efforts ont été récompensés: l’effet Meselson a pu être confirmé! », se réjouit-il.
Un constat qui illustre clairement que l'espèce Oppiella nova, constituée uniquement de femelles, se reproduit bel et bien exclusivement de manière asexuée, en l’occurrence par parthénogenèse. Ces acariens pourraient encore offrir de belles surprises dans la compréhension de l’évolution sans sexe. «Survivre sans sexe est certes rare dans le monde animal, mais il n’existe pas d’impossibilité théorique. Preuve en est notre étude! Nous sommes en train d’investiguer plus avant pour découvrir ce qui rend l’espèce Oppiella nova si spéciale», projettent les chercheurs lausannois.