L’utilité des gènes traduits en protéines ne fait pas de doute. Mais qu’en est-il de la matière noire, constituée quasi exclusivement de séquences d’ADN répétées? Dans une étude publiée le 31 août 2021 dans la revue «Molecular Biology and Evolution», l’équipe du Pr Alexandre Reymond, directeur du Centre intégratif de génomique de l’UNIL, décrypte ces étranges caractères génétiques qui influent sur l’histoire de l’évolution.
Notre génome peut être divisé en deux parties principales: d’un côté, les gènes qui contiennent l’information nécessaire à la fabrication de protéines et couvrent un quart de sa longueur ; de l’autre, la matière noire, composée presque exclusivement de séquences d’ADN répétées. Une classe de ces séquences forme une «région spécialisée» du chromosome, le centromère.
Chaque chromosome possède un centromère, qui garantit une ségrégation fidèle des paires de chromosomes dans les cellules filles lors de la division cellulaire. Des erreurs dans ce processus entraînent des altérations du nombre de chromosomes, comme la trisomie 21.
Décrypter l’histoire évolutive
Dans une étude parue dans l’édition du 31 août 2021 du journal Molecular Biology and Evolution (MBE), le laboratoire d’Alexandre Reymond, professeur ordinaire à la Faculté de biologie et de médecine (FBM) et directeur du Centre intégratif de génomique (CIG) de l’UNIL, a pu mettre en parallèle une découverte surprenante et fortuite avec l’histoire évolutive des chromosomes. En comparant les chromosomes humains et ceux d’autres primates, les scientifiques ont observé que ceux-ci se sont différenciés au cours du temps. Ces transformations incluent des changements de position du centromère le long du chromosome 15 par exemple.
Lors d’un diagnostic prénatal, l’équipe lausannoise a identifié le cas particulier d’un fœtus humain porteur d’ADN répétitif centromérique dans un emplacement éloigné de la position normale du centromère de ce chromosome. «Avec cette observation, nous avons un peu pris l’évolution sur le fait», s’amuse Alexandre Reymond, directeur des travaux menés en collaboration avec une équipe internationale de chercheur·euse·s et généticien·ne·s. «C’est la première fois, en effet, que nous constations un déplacement d’ADN centromérique vers une nouvelle position sans répétitions.»
Des similitudes avec les ancêtres des singes
Fait encore plus étrange: l’emplacement des séquences centromériques chez ce nouveau-né correspond à la position du centromère chez les ancêtres des singes vivant il y a environ 20 à 25 millions d'années ! «Cette particularité suggère la possibilité que l’ADN centromérique puisse se déplacer à l’endroit même où se trouvaient des sites centromériques ancestraux. Certaines parties de nos chromosomes sont peut-être plus «favorables» à l’établissement d’un centromère et à l’hébergement d’ADN répétitif», analyse la Pre Giuliana Giannuzzi, postdoctorante au sein du groupe du Pr Alexandre Reymond à l’époque des travaux et première auteure de l’article publié dans MBE. La professeure a, depuis, établi son propre laboratoire de recherche à l’Université de Milan.
L’évènement identifié dans cette étude est unique à cet individu et a priori sans conséquence médicale. «Même s’il s’agit là d’un cas isolé, ces recherches nous permettent de spéculer sur les voies évolutives et notamment le déplacement des centromères, lequel constitue souvent une étape-clé dans l’apparition de nouvelles espèces», conclut Alexandre Reymond.