A quelques jours de la fin de son mandat de Rectrice, débuté en 2016, Nouria Hernandez partage quelques réflexions avec nous.
La biologiste est arrivée en 2004 à l’UNIL, pour poursuivre au Centre intégratif de génomique la brillante carrière scientifique qu’elle menait aux États-Unis. Nouria Hernandez va reprendre jusqu’à l’été 2022 ses recherches là où elle les avait suspendues pour devenir la première Rectrice dans la longue histoire de l’Université de Lausanne. Rencontre dans ce qui est encore son bureau pour quelques jours, avant le passage de témoin au nouveau Recteur Frédéric Herman.
Quel est votre état d’esprit, sachant que vous allez laisser le souvenir d’avoir été la première Rectrice de l’UNIL?
C’est une satisfaction, je pense, et pas seulement pour moi mais pour les femmes en général et l’UNIL en particulier. Depuis ma jeunesse, j’ai vu progresser d’une manière très nette, quoique pas encore complète, le statut des femmes. Aux États-Unis où je travaillais, il était déjà impensable il y a vingt ou trente ans d’organiser un congrès sans inviter au moins quelques conférencières. C’était même une règle écrite dans bien des institutions. La Suisse m’avait semblé alors à la traîne, mais ce n’est plus le cas depuis plusieurs années. Le but est d'arriver à ce qu'il ne soit même plus question de mentionner que telle ou telle est la première femme à un poste d’autorité, que ce soit devenu un fait courant.
Quel est votre plus beau souvenir à la Direction de l’UNIL
Bien entendu le Prix Nobel décerné à Jacques Dubochet le 4 octobre 2017… Je me souviens avoir mangé ce jour-là avec des représentants de l’Université Libre de Bruxelles pour signer une convention et m’être un peu inquiétée à mon retour, en voyant une grande effervescence devant le bâtiment Unicentre. Quel s’était-il passé? L’un des vice-recteurs m’a alors interpellée: «Mais tu ne sais pas?» et ce fut pour moi le début d’une après-midi passée comme dans un rêve. Ce Prix Nobel a mis l’UNIL sur le devant de la scène, en Suisse et sur le plan international. Ce fut très important aussi pour la défense des sciences fondamentales, dont l'importance des découvertes n'est souvent pas tout de suite évidente. Qui pouvait penser que celle sur laquelle le professeur Dubochet avait si longuement et collectivement travaillé allait devenir la technique d’imagerie par excellence pour déterminer la structure tridimensionnelle des molécules essentielles à la vie? Bien sûr, son nom circulait pour un possible Nobel et j’étais assez bien placée pour le savoir, comme biologiste, mais d’ici à ce qu’un nom s’impose…
Comme biologiste, justement, avez-vous encore quelque chose en cours?
Oui, je vais consacrer ma dernière année à l’UNIL – j’ai 64 ans et j’aime mon travail – à un article scientifique sur la fonction d’un gène dans le foie: une souris privée de ce gène dans le foie se porte bien mais est un peu plus lourde que ses congénères normales. C’est curieux car une souris privée de ce même gène dans tous ses organes est très maigre et a peu de réserve d'énergie, à tel point qu’elle ne survivrait probablement pas dans la nature. Ce gène est donc impliqué dans le métabolisme des lipides, la question est de comprendre comment.
Votre Direction a mis l’accent sur l’employabilité des étudiants, sachant qu’il est inutile d’attendre une annonce cherchant un jeune biologiste, par exemple…
Oui, je connaissais ce problème auquel sont confrontés les thésards à leur sortie de l’université, diplôme en poche, et cela me tenait à cœur. Nous avons notamment créé le Hub Entrepreneuriat et Innovation pour donner la possibilité à celles et ceux qui le désirent de développer un projet et, ainsi, d’acquérir des connaissances dites "transverses" qui leur seront utiles pour forger leur avenir professionnel. Quelqu’un en particulier qui a fait une thèse universitaire acquiert des savoirs de spécialiste, mais aussi toutes sortes de compétences très utiles dans la plupart des contextes et des professions. Nos étudiants n’ont pas toujours conscience de ce potentiel : mener à bout un projet est un moyen d’utiliser et de développer ces compétences, puis de savoir ensuite les mettre en avant.
Un autre exemple de réalisation forte sous votre mandat?
Nous avons développé l’interdisciplinarité à travers plusieurs centres pérennes. Pour ne vous donner qu’un seul exemple je citerais la durabilité, qui est le problème interdisciplinaire par excellence, d’une complexité telle qu’il doit être étudié et pris en charge de la manière la plus large et la plus collaborative possible.
Comment voyez-vous l’avenir des universités et en particulier des universités suisses au sein de l’Union européenne?
Les universités sont parmi les institutions les plus anciennes dans nos sociétés, et elles vont perdurer, mais subiront sans doute une plus forte concurrence, notamment celle de nouvelles formations très ciblées et en ligne. Mais les cours à distance, même s’ils ont montré leur utilité face à la pandémie, ne peuvent remplacer qu’une très petite fraction de ce qu’est l’expérience d’études universitaires. L’Université c’est un cadre qui permet des échanges uniques entre les étudiants eux-mêmes et avec les professeurs, l’occasion de créer des relations d’amitié qui dureront toute une vie. Je ne pense pas que notre société acceptera de renoncer à ces aspects. Ainsi, les universités changeront, s’adapteront, mais perdureront. Quant à notre ancrage européen, il est essentiel, et pas uniquement pour nos universités, même si le premier domaine touché par les derniers développements est celui de la recherche. La détérioration de notre relation avec l’Europe est pour moi un grand sujet d’inquiétude, car elle risque de nous priver de ce subtil équilibre entre collaboration et compétition. L’enjeu de l’intégration européenne n’est pas simplement une question d’argent. Il s’agit d’avoir accès à l’espace européen de la recherche, de pouvoir travailler en réseau avec d’autres, ce qui est la meilleure façon de faire émerger des choses intéressantes et la seule manière de développer des projets d’envergure. Or plus de la moitié des collaborations internationales de chercheurs en Suisse se font avec des partenaires européens.
Comment combler encore le fossé entre les universités et le grand public qui finance ces institutions?
Le rôle d’une université est de générer et transmettre la connaissance. Notre rôle de Direction est d’assurer d’une part que l’Université soit financée pour accomplir ses missions – et nous devons pour cela travailler en confiance avec nos autorités politiques – et d’autre part qu’elle fonctionne le mieux possible, c’est-à-dire que les personnes qui y travaillent ou y étudient s’y sentent bien et aient donc envie de donner le meilleur d’elles-mêmes. Une des missions de l’Université, inscrite dans la loi, est de stimuler le débat de société. Nos chercheurs jouent ici un rôle essentiel pour alerter la société au sujet des défis auxquels nous devons faire face, mais aussi pour expliquer comment fonctionne la recherche et pourquoi le public peut souvent avoir l’impression frustrante de ne pas recevoir des réponses catégoriques de la part des scientifiques dans les domaines émergents, par exemple cette nouvelle maladie, la Covid 19!
Qu’en est-il de la violence des débats sur certaines questions brûlantes?
Pour ma part je dirais qu’il faut savoir écouter les gens, parfois au-delà des mots, pour comprendre ce qu’ils disent ou essaient de dire. Cette écoute se fait trop rare. Dès qu’on stimule un débat, on risque de fâcher les uns ou les autres, mais discuter, à mon sens, ce n’est pas vouloir imposer sa vision par l’intimidation et l’insulte, qui ne font pas partie de la liberté d’expression mais de ce qui justement la menace. Nous devrions toutes et tous nous garder des certitudes assénées dans le mépris d’autrui, aussi bien dans un débat citoyen que dans la vie de tous les jours.