Clémence Demay et Brian Favre combinent leurs approches pour appréhender ce phénomène aux confins du droit.
Intéressés tous deux par la façon dont se construit le droit, Clémence Demay et Brian Favre, doctorants à l’Ecole de droit de la FDCA, analysent comment la désobéissance civile en tant que phénomène périphérique peut mettre à jour le processus constitutif du droit. La désobéissance civile, plus particulièrement dans le domaine de la défense de l’environnement, est l’objet de leur contribution et de l’ouvrage qu’ils coéditent avec Dominique Bourg : Désobéir pour la terre.
Comment vos thématiques de recherche se sont-elles rejointes pour cette publication ?
Brian Favre. La thèse de Clémence s’intéresse justement à la désobéissance civile et sa réception par le droit avec une perspective proche des sciences politiques. La mienne porte plutôt sur la philosophie du droit et l’épistémologie juridique. Dans cette combinaison d’approches, la désobéissance civile devient un objet juridique très intéressant à la limite entre légal et illégal et qui questionne notre compréhension du droit.
Clémence Demay. La désobéissance civile nous semblait une porte d’entrée pour appréhender aussi par quels mécanismes les acteurs non juridiques essayent de faire évoluer le droit. Il faut être critique vis-à-vis de l’attitude du juridique qui consiste souvent à renvoyer les phénomènes trop périphériques à d’autres sciences, comme s’ils ne pouvaient rien nous enseigner.
En observant ces mouvements à la périphérie, que peut-on comprendre de l’évolution du droit ?
C. D. Ils nous rappellent que l’octroi de droit est situé historiquement. Nous nous sommes penchés sur les enjeux actuels liés à la responsabilité écologique mais l’octroi du droit de vote des femmes est aussi un bon exemple. Certaines causes qui n’ont pas toujours été réglementées par la loi sont justement entrées dans le droit par la mobilisation. Dire que ces mouvements sont nouveaux ou atypiques est une manière de les marginaliser mais ils sont pourtant constitutifs du processus de formation de la loi et du droit au sens large.
B. F. En regardant de près ces mouvements, on peut en voir les rouages. On observe le droit en train de se faire. Il se construit autour de querelles, d’oppositions doctrinales et ce n’est pas une mécanique fluide et parfaite. Le droit se construit dans un jeu d’oppositions et les actions motivées par la défense de l’environnement nous donnent à voir ce que l’on a rarement l’occasion d’observer si l’on est pas un professionnel ou un chercheur en droit.
C. D. Dans le domaine de la sauvegarde de l’environnement, la particularité du répertoire d’actions est aussi que ces moyens de mobilisation contraires à la loi sont utilisés dans le but de faire évoluer le droit, la démocratie, avec des idéaux de droits fondamentaux. On pourrait dire que l’on est en dehors de la loi mais dans le droit. C’est une façon de mettre le doigt sur certains déficits démocratiques avec des acteurs qui servent néanmoins un idéal civil et qui n’ont pas une démarche révolutionnaire ou anti-État. Leur démarche est une pratique démocratique.
De quelle façon votre analyse de la désobéissance civile peut-elle permettre de sortir d'un débat partisan ?
B. F. L’ouvrage dans son ensemble ne défend pas une cause en particulier mais met le doigt sur certaines incohérences et souligne les hypocrisies d’une certaine rhétorique qui fait souvent l’économie d’une analyse d’ensemble du phénomène juridique. Nous plaidons pour que le débat fasse l’utilisation d’arguments plus approfondis, plus complexes plutôt que de simplement dire : puisque c’est contraire au droit pénal, circulez il n’y a rien à voir. C’est oublier que le droit évolue et qu’il tire aussi son autorité de son adéquation aux enjeux du temps.
C. D. Nous ne nous prononçons pas sur ce qui est juste ou injuste, ce qui doit être sanctionné ou non. Nous voulons montrer un manque de cohérence pour le droit lui-même dans les arguments mobilisés contre la désobéissance civile. Ces questions se posent dans les tribunaux où elles ne peuvent être réduites à la rhétorique du pour ou contre. Les juges doivent composer avec un phénomène et une rhétorique un peu inhabituels. Nous pensons qu’il faut des jalons pour appréhender ces actions, pour définir comment les traiter.
B. F. Nous avons voulu montrer comment le droit a le pouvoir de donner à la désobéissance civile sa dimension collective. Lorsque le droit s’en saisit, il doit en quelque sorte fait entrer des ronds dans des carrés. En tentant par exemple de faire entrer la désobéissance civile dans le carré de l’état de nécessité, on perd forcément quelque chose. Les juristes sont médusés par cet usage du droit et les activistes sont déçus car ce n’est pas l’instrument qu’ils voulaient mobiliser. S’il y a finalement beaucoup de déçus des deux côtés, c’est que les enjeux ne sont pas les mêmes. Ce qui se joue, c’est bien l’utilisation du débat et de la discussion politique pour renégocier un droit qui soit en accord avec les préoccupations environnementales et sociales du moment.