Les guides de randonnées foisonnent ; pourquoi donc celui-ci ? Peut-être pour marcher sur d’autres pistes que la bonne santé, l’émerveillement dominical, la vertueuse hygiène de vie. Dieu que la montagne est belle, certes, mais n’est-elle pas aussi, à choix, austère, repoussante, surpeuplée, dépeuplée, mélancolique, péniblement touristique, tailladée de routes, triviale, éblouissante ou comique ?
Lignes de crêtes propose ainsi vingt promenades dans les Alpes et le Jura, chacune ponctuée de plusieurs textes d’écrivains. Certains extraits sont le fait de peintres, journalistes ou scientifiques ; toutes et tous ont évoqué très directement les lieux, il y a trois siècles ou deux étés.
Le Centre des littératures en Suisse romande (CLSR) et le Centre interdisciplinaire de recherche sur la montagne (CIRM) ont travaillé ensemble à ce projet. La proposition vise un déploiement géographique, scientifique et culturel, stylistique aussi, que le lecteur a tout loisir d’expérimenter en suivant les tracés ou en se projetant dans le vagabondage depuis son fauteuil.
Le marcheur des villes trouve trace humaine à chaque pas ; il ne doute jamais d’avoir été précédé. Le marcheur des montagnes, lui, tend à croire qu’il évolue en terrain vierge, ou presque. Or une mémoire foisonnante émerge des sentiers, d’une voie historique ou d’un glacier en perdition. Il a fallu choisir, tailler, pour laisser apparaître ce corpus polymorphe, composé d’extraits anciens, contemporains, célèbres ou inédits, signés d’auteurs de toutes origines et langues, et de tonalités fort éloignées. La montagne est un miroir, elle renvoie autant d’images qu’il y a d’yeux pour la voir.
Car si les Alpes ont été au cœur d’une expérience romantique dont l’empreinte perdure, avec ses cascades et ses vertiges, on peut aussi rire, faire un pas de côté et désacraliser les cailloux. En cela, la multitude des éclairages – fiction macabre, lettres, roman historique, récit pour enfant – aide à déboulonner quelques poncifs, même si certains ont la vie dure. À la variété des textes s’ajoutent les photographies d’Olga Cafiero, qui rythment l’ouvrage en électrisant radicalement la carte postale ; son appareil, comme les textes réunis ici, n’a craint ni les hauteurs, ni les grisailles d’entre-saison.
Là où les reliefs, les ruptures dans le paysage, les « phénomènes naturels » interrogent, – là aussi où on ne les soupçonne pas –, la plume des géographes Jonathan Bussard et Emmanuel Reynard s’ajoute à celles des écrivains pour raconter, le plus simplement possible, les soubresauts d’un temps long, travaillé de l’intérieur par les forces contradictoires de la terre, des eaux, des vents, des minéraux. Il s’y loge, pour peu qu’on en doutait, un émerveillement dans chaque cas, qui relègue le marcheur à la mesure et au temps qui sont les siens, quoique mieux instruit des voyages extraordinaires de la pierre qu’il foule, tel ce repli de littoral tropical qui vit désormais paisiblement dans le fond du Binntal. Autant de pistes vers des lectures inédites de nos paysages.
Lignes de crêtes, Promenades littéraires en montagne, Noir sur Blanc, 296 p.
Sortie 6 mai 2021. Collectif (Florence Gaillard, Daniel Maggetti, Stéphane Pétermann, Jonathan Bussard, Emmanuel Reynard. Photographies d’Olga Cafiero)