Basée sur l’analyse d’ADN ancien, une étude codirigée par Anna-Sapfo Malaspinas au Département de biologie computationnelle de l’UNIL et au SIB Institut Suisse de Bioinformatique apporte un éclairage sur le peuplement de la Grèce à l’âge du bronze. Elle est à découvrir dans l’édition du 29 avril 2021 de la revue "Cell".
L’étude des civilisations anciennes, voire disparues, n’est pas uniquement l’apanage des historiens et des archéologues. La génétique permet, elle aussi, de remonter le temps et constitue une aide précieuse pour mieux comprendre comment les êtres humains ont colonisé les différentes régions de la planète et se sont adaptés à de nouveaux environnements.
Une recherche multidisciplinaire parue le 29 avril 2021 dans Cell et codirigée par Anna-Sapfo Malaspinas, professeure assistante au Département de biologie computationnelle (DBC) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et cheffe de groupe au SIB Institut Suisse de Bioinformatique, retrace un pan de l’histoire grecque à l’âge du bronze. Marquée par de profonds changements sociétaux, économiques et artistiques, cette période qui succède au Néolithique voit naître les premiers grands centres urbains, des palaces monumentaux et les premières formes d’écritures, entre autres.
Dénicher des gènes humains vieux de 4000 à 5000 ans
À cette époque, trois peuples dits «égéens», culturellement distincts, s’épanouissent en parallèle dans la région de la mer Égée: la civilisation helladique (en Grèce continentale), la civilisation cycladique (dans les îles de l’archipel des Cyclades) et la civilisation minoenne (principalement en Crête). «Notre but était de comprendre si l’émergence de ces cultures, qui marque la transition du Néolithique vers l’âge du bronze, est couplée à des vagues de migrations humaines qui auraient laissé des traces au niveau génétique», explique Anna-Sapfo Malaspinas.
Les travaux ont été réalisés par une équipe internationale constituée d’archéologues, d’anthropologues ainsi que de spécialistes en biologie moléculaire, en bioinformatique et en génétique des populations basés dans huit pays différents. Ils ont été codirigés par Christina Papageorgopoulou, professeure associée à l’Université Démocrite de Thrace, en Grèce. Les scientifiques ont d’abord étudié 70 ossements découverts sur des sites archéologiques égéens. Pour six d’entre eux, ils ont réussi à extraire assez d’ADN humain, à partir d’os de crânes, pour reconstituer, séquencer et analyser des génomes complets. «C’est là tout le défi lorsque l’on travaille avec de l’ADN ancien: les fossiles sont rares et, lorsqu’ils sont disponibles, l’ADN humain qu’ils contiennent est endommagé, fragmenté et présent en très petite quantité», souligne Anna-Sapfo Malaspinas.
Migration tardive depuis les steppes
Quatre des six individus étudiés ont vécu au début de l’âge du bronze (entre 2900 et 2300 av. J.-C. environ). Ils sont respectivement issus des trois civilisations (helladique, cycladique et minoenne). Les deux autres, de culture helladique, foulaient le nord de la Grèce des siècles plus tard (entre 2000 et 1800 av. J.-C. environ).
Les analyses montrent que les quatre premières personnes ont des génomes similaires et descendent toutes des égéens locaux du Néolithique. «Ceci suggère que les innovations majeures qui ont eu lieu lors de la transition entre le Néolithique et l’âge du bronze ne seraient en fait pas la conséquence d’apports de populations extérieures, comme présumé par certains scientifiques jusque-là: en effet si c’était le cas, celles-ci se seraient reflétées au niveau génétique», relate Anna-Sapfo Malaspinas. Une découverte surprenante puisque dans le reste de l’Europe, cette période de transition culturelle est associée à des flux de gènes massifs en provenance de peuples issus des steppes pontiques, qui s’étendent du nord de la mer Noire et de la mer Caspienne, jusqu’au Kazakhstan.
«En Grèce, ce métissage a eu lieu un peu plus tard, sans que l’on sache vraiment pourquoi», poursuit la spécialiste. En effet, les deux individus ayant vécu au milieu de l’âge du bronze possèdent, eux, 50% d’ADN en commun avec les populations des steppes. Ils ressemblent par ailleurs aux habitants actuels de la région de la mer Égée, ce qui laisse penser que ces migrations en provenance des plaines de l’est ont contribué à forger le génome des Grecs modernes.
4000 ans d’histoire génomique restent à décrypter
Anna-Sapfo Malaspinas, qui a beaucoup étudié les Amériques et la Polynésie, souhaite désormais continuer à travailler sur des questions relatives au peuplement de la Grèce. «Les périodes entre l'âge du bronze et la Grèce moderne, soit 4000 ans d'histoire avec des innovations telles que la démocratie, restent totalement méconnues du point de vue génomique», illustre la spécialiste en biologie computationnelle et évolutive.