Difficile, lors de symptômes inhabituels ou inconnus d’une pathologie, de poser un diagnostic clair. Si la cause génétique est soupçonnée, sa confirmation nécessite des outils d’analyse de pointe ainsi qu’un réseau international de spécialistes. L’expertise de l’équipe du Pr Alexandre Reymond, directeur du Centre intégratif de génomique de l’UNIL, a joué un rôle-clé dans l’identification d’une nouvelle maladie génétique rare, décrite dans l’édition du 6 mai 2021 de la revue «American Journal of Human Genetics».
Le diagnostic, une tâche parfois ardue
Lorsque qu’un enfant présente les symptômes d’une pathologie, les parents se tournent vers les cliniciens dans l’espoir d’obtenir des réponses. Cependant, la pose d’un diagnostic n’est pas toujours chose aisée. Par exemple, si les symptômes présentés par l’enfant sont rares ou ne correspondent pas exactement à ceux d’une maladie connue, les cliniciens ne peuvent identifier avec certitude un syndrome et ses origines. Quand une cause génétique est soupçonnée, ils font souvent appel à des chercheurs, qui tenteront d’établir un diagnostic sur la base du séquençage de l’ADN des membres de la famille. Des cliniciens italiens se sont ainsi adressés au laboratoire d’Alexandre Reymond, professeur ordinaire à la Faculté de biologie et de médecine et directeur du Centre intégratif de génomique (CIG) de l’UNIL, afin d’étudier le cas d’une jeune fille présentant un syndrome complexe. Leurs découvertes ont fait l’objet d’un article publié dans l’édition du 6 mai 2021 de l’American Journal of Human Genetics (AJHG).
L’identification de variations suspectes
L’analyse du génome de l’enfant atteint ainsi que de sa famille a permis d’identifier une mutation nouvelle, un changement de lettre dans la zone de l’ADN correspondant au gène nommé AFF3. Ce gène donne le mode d’emploi pour la fabrication d’une protéine régulatrice, capable de dicter l’abondance d’autre protéines impliquées dans de nombreux mécanismes, notamment lors du développement fœtal. Des collaborations internationales ont permis d’identifier un total de 18 patients présentant des changements dans le gène AFF3 et des symptômes similaires. Ces symptômes incluent, mais ne sont pas restreints à une déficience intellectuelle, de l’épilepsie, une malformation des reins ainsi que des malformations osseuses des membres.
L’existence d’indices in silico
Restait à découvrir comment ces mutations du gène AFF3 peuvent induire un syndrome aussi complexe. La connaissance des gènes et de leurs rôles est un domaine en constante évolution. Les travaux des chercheurs de par le monde permettent de compléter ce savoir et leurs trouvailles sont accessibles sur des plateformes spécialisées. «Les informations disponibles sur AFF3 permettent de déduire qu’il régule indirectement certaines étapes du développement fœtal. De plus, notre modélisation informatique a permis de déterminer que les mutations observées chez les patients peuvent affecter la forme de la protéine AFF3, et donc sa fonction, déréglant ainsi des processus embryonnaires cruciaux. La localisation de la protéine AFF3 dans le cerveau suggère aussi un lien avec le développement neuronal», relate la DreSc. Norine Voisin, alors doctorante au sein du groupe du Pr Alexandre Reymond et première auteure de l’article publié dans AJHG.
Confirmer l’hypothèse in vivo
Le lien entre AFF3 et le développement du cerveau et des os n’étant pas encore directement établi, les scientifiques lausannois ont vérifié cette corrélation chez la souris. «Un moyen de déterminer le rôle d’un gène est d’enlever celui-ci ou de le modifier chez l’animal et de mesurer ensuite l’impact sur son développement», relève Alexandre Reymond, directeur de l’étude. «Nous avons pu observer que la modification du gène AFF3 chez le rongeur induit effectivement des malformations osseuses et cérébrales, ainsi qu’un disfonctionnement rénal, des symptômes qui rappellent ceux observés chez nos patients.»
Suspectant que le mécanisme d’action des mutations identifiées résulte d’une accumulation pathologique de la protéine AFF3, les généticiens ont testé cette hypothèse en utilisant des poissons-zèbre. Ils ont augmenté artificiellement la quantité de protéines AFF3 dans les œufs de poissons, ce qui a entraîné des défauts du développement des embryons. «Ces résultats corroborent l’hypothèse qu’AFF3 est crucial pour un bon développement embryonnaire et que des mutations affectant sa fonction et/ou son dosage sont la cause de malformations osseuses, cérébrales et rénales, expliquant ainsi le nouveau syndrome identifié chez 18 patients», conclut Norine Voisin.