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Échos dans la presse de la conférence organisée par l’OUVEMA sur Odense et sa politique cyclable.
Rendre la ville cyclable? Comment les modèles du Nord peuvent nous inspirer
L’Observatoire du vélo et des mobilités actives de l’UNIL se penche sur les villes faites pour les cyclistes. Que copier?
Article de Cathy Macherel pour La Tribune de Genève et 24 Heures (25 mars 2021)
C’est le genre de ville qui fait rêver le cycliste au quotidien, celui qui prend son vélo pour se rendre au travail ou à l’école. Depuis quarante ans, la cité danoise d’Odense travaille à la promotion du vélo, et depuis un peu plus de dix ans, elle met les bouchées doubles pour adapter ses infrastructures à ce moyen de transport, n’hésitant pas à opérer des transformations majeures. Cette ville de 200’000 habitants apparaît aujourd’hui comme un laboratoire à ciel ouvert de la mobilité douce, très intéressant à suivre. Début mars, Odense était à l’honneur pour inaugurer une série de conférences sur les villes cyclables européennes qu’organise l’Observatoire universitaire du vélo et des mobilités actives de l’Université de Lausanne (Ouvema). Vienne, Berne et Strasbourg seront aussi au rendez-vous.
Le Danemark, comme nombre de pays nordiques, est tout acquis au vélo depuis des années. Mais Odense a connu aussi une forte croissance automobile et la politique de la priorité aux cyclistes n’allait pas forcément de soi. Quand on parle de changement, il fut parfois radical: la Municipalité est parvenue par exemple à condamner l’énorme tranchée routière à plusieurs pistes qui traversait la ville, pour la remplacer par des logements et des espaces publics. Depuis 2009, toutes les nouvelles infrastructures, mis à part un tram, ont été conçues pour favoriser les déplacements à vélo. Bien plus que des pistes cyclables, des voies express, totalement autonomes et dédiées à la petite reine, ont été construites, avec leurs tunnels, ponts en béton, passages prioritaires. «Il est par exemple possible de pédaler sur un trajet de 9 km sans jamais devoir s’arrêter, ni pour des voitures ni pour des piétons», explique Troels Andersen, ingénieur chargé du Service trafic et mobilité de la Municipalité. Le vélo, qu’il soit à la force des mollets ou électrique, représente désormais 23% des déplacements dans la commune. En comparaison, Genève est à 6%, Lausanne à 2%. Et au centre-ville d’Odense, 50% des trajets au centre-ville se font en pédalant.
Approche globale
L’idée n’est pas seulement de favoriser la bicyclette pour les résidents du centre-ville, mais aussi de convaincre les habitants en périphérie de privilégier ce mode de transport car il est devenu beaucoup plus rapide que l’automobile, et encore plus avec l’e-bike. Des études comparatives sont menées et publiées régulièrement pour convaincre la population. «On montre par exemple qu’un trajet qui prend dix-huit minutes en voiture n’en prend plus que six en pédalant.» Outre les infrastructures, toute une série de mesures facilitantes ont été prises, comme la possibilité de pédaler sur les voies piétonnes la nuit.
«Ce qui est intéressant dans le modèle d’Odense, c’est l’approche globale, souligne Patrick Rérat, géographe des mobilités à l’UNIL et cofondateur de l’Ouvema. Pour rendre la pratique efficace et sûre, on travaille sur toute la chaîne des infrastructures, du stationnement des vélos à domicile à l’aménagement des carrefours, en passant par la réflexion sur les itinéraires. On voit que cela permet d’allonger considérablement les distances parcourues à vélo, alors qu’on a longtemps tablé, dans nos villes, sur du 3 à 5 km maximum.» Cette approche globale consiste aussi à montrer les avantages à tous les niveaux. Rien ne sert de culpabiliser les automobilistes sur le climat, mieux vaut leur démontrer les bénéfices qu’ils tirent à opter pour la bicyclette. Un travail de longue haleine, entrepris dès les années 70, avec un coup d’accélérateur au tournant du siècle en ce qui concerne Odense. Durant quatre ans, de 1999 à 2003, le gouvernement danois a choisi cette ville pour en faire un laboratoire d’expériences en investissant 2,7 millions d’euros. Et il a considéré en guise d’hypothèse de travail que la promotion du vélo est avant tout une affaire de santé publique et qu’elle ferait gagner de l’argent à la société. «Au terme de quatre ans d’études et de promotion du vélo, on avait gagné 20% de cyclistes en plus, explique Jens Troelsen, chercheur à l’Université du Danemark et responsable du programme. Et on a surtout pu démontrer que 4,5 millions d’euros ont été économisés en coûts de santé publique en transformant des automobilistes en cyclistes, car en pédalant, on prêtait moins le flanc aux maladies cardio-vasculaires et on avait fait baisser le nombre d’accidents de la route de 20%. À l’arrivée, on peut dire que chaque kilomètre parcouru à vélo, c’est un euro de gagné en termes de santé publique.»
Pour Patrick Rérat, ce qu’il y a peut-être de plus inspirant dans le modèle d’Odense, c’est la volonté politique. «Il faut rappeler que la pratique du vélo était très répandue dans toute l’Europe avant que les Trente Glorieuses n’imposent le culte de la motorisation. Les pays nordiques se sont simplement réveillés plus tôt que nous à cause de toute une série de facteurs, dont la congestion du trafic. Dans les années 70, par exemple, Amsterdam était une ville hypercongestionnée. Il y a un mythe, tenace, qui laisse penser que les pays nordiques ont une culture naturelle du vélo ou une topographie facilitante qui ont amené au changement. Mais ce qui marque, c’est d’abord une forte volonté politique.»