Le décanat a le plaisir de vous présenter Laure Kaeser, Chargée de projets Relève et Egalité.
Parlez-nous de votre parcours
Je suis venue à Genève pour étudier les sciences sociales et économiques. Auparavant, je vivais à Marseille où j’ai pu observer puis m’interroger sur la construction des inégalités, en particulier en matière de ségrégation spatiale et de discrimination intersectionnelle.
Grâce à mes études, j’ai pu mettre des noms sur ces phénomènes et comprendre leurs origines. Mon premier cours en sociologie a été une véritable claque : réaliser à quel point nous sommes le résultat d’une reproduction sociale a été assez choquant ! Mais j’ai également eu l’opportunité d’étudier les mouvements sociaux et les changements politiques qui sont autant de processus qui permettent de ne pas tomber dans le déterminisme.
J’ai choisi de faire un doctorat pour avoir le luxe d’approfondir un sujet pendant plusieurs années. J’ai été tentée par la carrière académique mais y ai finalement renoncé car j’aspirais à davantage de stabilité dans ma vie professionnelle. J’ai travaillé cinq ans comme cheffe de projet à l’Etat de Vaud. J’ai notamment contribué à créer des bases statistiques capables de calculer le taux de pauvreté vaudois que nous avons ventilé par type de foyer et âge. Sans grande surprise, les familles monoparentales dans lesquelles sont surreprésentées les femmes, et les retraitées qui vivent seules sont particulièrement exposées au risque de pauvreté.
Comment est né votre intérêt pour les questions liées à l’égalité homme-femme ?
Je dois avouer : j’ai longtemps fait partie des personnes qui pensaient que l’égalité était atteinte et que les féministes qui continuaient la lutte exagéraient. Jusqu’à la fin de mon Master, mon esprit n’était pas aiguisé : par exemple, il ne remarquait pas que les enseignements étaient pour la plupart dispensés par des hommes alors que nous, les étudiantes, étions largement majoritaires. Grande timide, je n’osais pas poser de questions. Je pensais que j’en étais seule responsable et ne remarquais pas qu’en cours, les personnes qui levaient volontiers la main étaient surtout des hommes.
Ce n’est qu’en commençant ma vie professionnelle comme assistante d’enseignement et de recherche que j’ai pris conscience des inégalités dont les femmes étaient victimes. J’ai eu le privilège de côtoyer des collègues qui m’ont ouvert les yeux. J’ai aussi appris dans la douleur puisque j’ai fait l’expérience de comportements sexistes à mon égard.
Dès lors, j’ai commencé à m’informer en lisant, visionnant des films, écoutant des podcasts et en échangeant avec des personnes mieux informées que je ne l’étais à l’époque.
Désormais, un de mes engagements en faveur de l’égalité est de relayer ce que j’ai appris à travers mon blog Vivre ensemble. J’y expérimente la violence numérique exercée à l’encontre du féminisme. Même si j’y perds parfois quelques plumes, ces comportements justifient à eux seuls la poursuite des efforts pour obtenir une égalité de fait entre femmes, hommes et personnes non binaires.
Pourriez-vous nous décrire votre rôle en quelques mots ?
La Direction de l’Université de Lausanne a souhaité impliquer toutes les Facultés dans la concrétisation de son axe stratégique en matière d’égalité. Pour ce faire, la Faculté des SSP a élaboré un plan d’action ambitieux pour la période 2017-2020 – COMPAS – reposant sur six axes. Mes prédecesseures avaient pour tâches d’assurer le suivi des mesures déjà en place et d’en développer de nouvelles selon les objectifs posés.
Si je devais résumer en quelques mots, je collabore avec la vice-doyenne Relève & Egalité sur les mesures déjà mises en œuvre et sur l’élargissement du périmètre à d’autres types de discriminations.
Je suis également un « repère égalité » pour toutes les personnes de la faculté ayant des questions à ce sujet et responsable de la communication autour des mesures de promotion de l’égalité et de soutien aux carrières féminines auprès des Instituts et des membres de la Faculté. Enfin, je fais le lien avec le Bureau Egalité de l’UNIL (BEC) et les autres facultés sur ces thématiques.
Quels seront vos principaux projets pour l’année en cours ?
En premier lieu, je poursuis la mission statistique initiée par ma prédecesseure Audrey Mouton qui a fait un important travail de gestion et d’analyse des données sexuées de la Faculté (monitoring de l’égalité adapté à SSP, suivi statistique des nominations et des promotions, de l’attribution de financements de projets de recherches ou de décharges, des carrières internes, etc.). Ma tâche est largement facilitée par la qualité et l’efficience des indicateurs construits.
Ensuite, j’approfondirai la dimension communication du poste. Le contexte du COVID-19 nous invite à faire preuve de créativité dans le domaine. Pour marquer les 50 ans du droit de vote des femmes que nous fêtons cette année, nous participons au projet Cross-NCCR Women’s Day Campaign. En lieu et place de conférences, expositions et tables rondes, nous réaliserons une série de portraits vidéo de femmes scientifiques pour inspirer la jeune génération à embrasser une profession exigeante mais passionnante. Nous y ajouterons des portraits d’hommes afin de répondre à la demande de la Direction de l’UNIL de communiquer sur les parcours de la relève académique au sein de SSP.
Enfin, nous collaborons actuellement avec le BEC afin de tester leur MOOC sur les biais de recrutement pour les postes de professeur·es. Les questions d’intersectionnalité et du bien-être des chercheur·es devraient également faire l’objet d’événements mais la forme reste à définir, fatigue de zoom et du tout écran oblige.
En cette Journée internationale des droits des femmes, à quand une représentation égalitaire des sexes dans le monde académique… oseriez-vous un pronostic ?
Il y a 20 ans, les femmes étaient partout minoritaires en SSP, que ce soit sur les bancs de l’UNIL où elles représentaient 39% des licencié·es en 2001 ou dans les enseignements qui étaient dispensés aux trois-quarts par des hommes. Actuellement, les femmes représentent un peu plus du tiers du professorat, ce dont on peut se réjouir.
Toutefois, ce constat est malheureusement terni à deux égards. Premièrement, la part de professeure a stagné, voire diminué, en SSP ces dix dernières années, passant de 36,2% en 2010 à 35,3% en 2019. Deuxièmement, l’inégalité réelle subsiste et reste flagrante : la répartition sexuée du professorat ne correspond pas à celle du corps estudiantin qui est devenu avec les années majoritairement féminin (63% en 2019).
Nonobstant ces évolutions décevantes, les membres du corps professoral de SSP manifestent une adhésion forte à la politique d’égalité facultaire. Autre espoir : d’une part, les instances dirigeantes se féminisent à l’instar de la nouvelle direction de l’UNIL qui compte autant de vice-rectrices que de vice-recteurs ou de l’introduction de quotas de femmes de 40% au sein des instances d’évaluation du FNS.
En dépit d’une Faculté largement acquise aux principes de l’égalité de genre et donc d’un environnement institutionnel à priori favorable, le bilan plutôt mitigé des dernières années nous invite à renforcer et poursuivre nos efforts afin d’identifier et contrer les pratiques qui reproduisent les inégalités de sexe. Si notre vigilance se relâchait, je crains que mon pronostic ne puisse qu’être pessimiste.