Un groupe de chercheurs internationaux appelle à une meilleure intégration de la génétique virale, de la bioinformatique et de la santé publique pour permettre une meilleure réponse à la pandémie actuelle et une meilleure préparation pour gérer celles à venir
Dans un article d’opinion publié dans la revue Nature, ces spécialistes en analyse virale et génétique, dirigés par les scientifiques suisses Dr Emma Hodcroft de l'Université de Berne et Prof.Christophe Dessimoz de l'Université de Lausanne, tous deux au SIB Institut suisse de Bioinformatique, aux côtés du Dr Nick Goldman à l'EMBL-EBI au Royaume-Uni, ont exposé les "goulets d'étranglement en bioinformatique" qui entravent la réponse à la pandémie de SRAS-CoV-2. Ils proposent des moyens de "dégager la voie" pour de meilleurs outils et approches. Voici les principaux messages à retenir et des perspectives sous l'angle suisse.
Ce que les scientifiques ont accompli en un an depuis la découverte d'un tout nouveau virus est vraiment remarquable", déclare Emma Hodcroft de l'Institut de médecine sociale et préventive (ISPM) de l'Université de Berne, premier auteur de l'article, "mais les outils qu’ils utilisent pour étudier la transmission et l'évolution du SRAS-CoV-2 n'ont jamais été conçus pour les pressions uniques – ou volumes de données - de cette pandémie".
Le SRAS-CoV-2 est aujourd'hui l'un des agents pathogènes les plus séquencés de tous les temps, avec plus de 600 000 séquences du génome complet générées depuis le début de la pandémie, et plus de 5 000 nouvelles chaque jour. Cependant, les outils d'analyse et de visualisation utilisés aujourd'hui (y compris Nextstrain, développé conjointement par le groupe du Prof. Richard Neher au SIB et à l'Université de Bâle) n'ont pas été conçus initialement pour gérer le volume et la vitesse des séquences générées aujourd'hui, ni l'ampleur de la participation à la réponse de santé publique. "Partout dans le monde, la surveillance génomique du virus repose sur l'initiative de chercheurs universitaires pour trouver des réponses essentielles. La prise de décision en matière de santé publique bénéficierait d'un cadre de collaboration plus durable", déclare Christophe Dessimoz du SIB et de l'Université de Lausanne.
Ce qu'un meilleur séquençage du virus permettrait
Les séquences génétiques du SRAS-CoV-2 contiennent des informations précieuses pour la mise en œuvre de politiques efficaces en matière de pandémie et pour garder une longueur d'avance sur le virus. La comparaison du nombre de mutations que différents échantillons partagent, par exemple, permet aux scientifiques de suivre la transmission du virus, ce qui aide à identifier les événements de super-diffusion et la propagation internationale. Mais pour l'instant, il peut être difficile de combiner ces informations génétiques avec d'autres variables clés - comme les personnes présentes à un événement et le moment où les symptômes sont apparus - ce qui pourrait contribuer à rendre ces méthodes encore plus informatives.
Le "nombre R" est passé d'un concept scientifique à un mot courant l'année dernière - il mesure le nombre moyen de personnes auxquelles une personne infectée transmettra le virus. Ici, les séquences peuvent également être utiles, en aidant à distinguer les cas importés de la transmission locale. Cela permet une estimation plus précise de Re, mais nécessite des niveaux élevés de séquençage et des analyses complexes, qui ne sont actuellement pas largement mises en œuvre.
Enfin, le séquençage est le seul moyen d'identifier et de suivre les nombreuses mutations qui surviennent dans le cadre du SRAS-CoV-2. Bien que les mutations fassent partie de la vie normale d'un virus, les scientifiques doivent savoir quelles sont les variations inoffensives et celles qui pourraient modifier la transmissibilité du virus ou son impact sur la santé. La combinaison desséquences, des travaux de laboratoire et des prédictions informatiques pourrait permettre de mieux comprendre les effets des mutations, mais il n'existe pas de cadre pour aider ces différentes spécialités à travailler ensemble. "Les données virales - séquences et métadonnées associées - doivent être déterminées, rassemblées et harmonisées grâce à des infrastructures stables compatibles avec les principes de l'Open Data pour faciliter l'examen par les pairs de la communauté et leur réutilisation", explique Christophe Dessimoz du SIB et de l'Université de Lausanne, dernier auteur de l’article.
Avantages pour la Suisse "En Suisse, la population pourrait bénéficier d'un séquençage plus systématique et plus représentatif, par exemple par une meilleure traçabilité des contacts, l'isolement et la quarantaine ciblés de régions particulières, ainsi que la fermeture ou l'ouverture des écoles en fonction de la présence de certaines variants", explique Emma Hodcroft. L'harmonisation des pratiques en matière de données sanitaires est également un sujet crucial. La Suisse déploie déjà ses efforts au niveau national par le biais du Swiss Personalized Health Network (SPHN). Les chercheurs sont convaincus que le potentiel de la Suisse en termes d'expertise et d'infrastructures n'attend que d'être exploité, pour le bénéfice de la santé publique. "Les outils pour permettre la recherche sont là, et les chercheurs se sont auto-organisés et ont fait le premier pas : pour intensifier et soutenir ces efforts de rapprochement entre la recherche et la santé publique, nous comptons sur un financement public durable", déclare Christophe Dessimoz.
RéférenceEmma B. Hodcroft, Nicola De Maio, Rob Lanfear, Duncan R. MacCannell, Bui Quang Minh, Heiko A. Schmidt, Alexandros Stamatakis, Nick Goldman & Christophe Dessimoz: Want to track pandemic variants faster? Fix the bioinformatics bottleneck. Nature Comment, 1 March 2021, doi: https://doi.org/10.1038/d41586-021-00525-x