Derrière la maladie se cache parfois une architecture surprenante, voire graphique. C’est le cas notamment pour le cancer du poumon, dont l’aspect au microscope sert aux pathologistes pour sa classification. L’étude de l’agencement et de la génomique des cellules tumorales est au cœur des travaux du professeur Giovanni Ciriello au Département de biologie computationnelle de l’UNIL. Elle fait l’objet d’une publication dans l’édition du 9 février 2021 de la revue «Cancer Discovery».
Le cancer du poumon constitue la première cause de mortalité liée au cancer dans le monde avec, chaque année, quelque deux millions de décès. Un moyen d’identifier cette pathologie consiste à se baser sur l’aspect au microscope des cellules tumorales, dont l’agencement peut fortement varier: parfois celles-ci suivent la structure préexistante du poumon dont elles sont issues, mais il arrive aussi que l’architecture originale soit méconnaissable.
Quatre «patterns» identifiés
Dans les adénocarcinomes, le type de cancer pulmonaire le plus fréquent, quatre motifs ou «patterns» architecturaux principaux ont été observés. Chaque tumeur est généralement constituée de plusieurs d’entre eux, comme une mosaïque faite de tesselles ou de morceaux de formes différentes. Bien que ces patterns soient utilisés en clinique pour classer les tumeurs des patients, les scientifiques et les médecins ne connaissent ni leur origine ni les caractéristiques des cellules qui les composent. «C'est comme regarder un tableau en noir et blanc : on peut voir ce qu'il contient, mais on ne peut pas vraiment dire à quoi il ressemble !» illustre Giovanni Ciriello, professeur associé au Département de biologie computationnelle (DBC) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et membre du Swiss Cancer Center Léman, à Lausanne.
Un défi que le spécialiste en génomique du cancer a décidé de relever dans une étude qu’il a dirigée avec Igor Letovanec, médecin agréé au CHUV et chef de service à l’Hôpital du Valais. Les résultats viennent de paraître dans Cancer Discovery, une revue de l'American Association for Cancer Research.
Déconstruire la mosaïque
Grâce à l’utilisation d’approches novatrices et d’une grande variété de technologies, l’équipe pluridisciplinaire est parvenue à analyser spatialement les caractéristiques individuelles de plusieurs tumeurs. «En d’autres termes, nous avons déconstruit la mosaïque pour révéler les couleurs de chacun de ses fragments», détaille Giovanni Ciriello.
Les auteurs ont ainsi découvert que les cellules cancéreuses qui composent chaque pattern activent des gènes et des protéines très différents: «Au fur et à mesure que les cellules se développent pour former un pattern, elles modifient leur identité et leur comportement, ce qui augmente souvent l'agressivité de la tumeur», explique Daniele Tavernari, doctorant dans le laboratoire du Pr Ciriello et premier auteur de l’article. En utilisant ces données en combinaison avec des approches informatiques avancées, les scientifiques ont pu déterminer l'identité des cellules les plus agressives chez plus de 2’000 personnes souffrant d’un adénocarcinome. «Ces résultats pourraient servir à la conception d'outils permettant de prédire le pronostic des patients et de mieux personnaliser leur traitement, en particulier pour les tumeurs précoces décelées dans le cadre de futurs programmes de dépistage du cancer du poumon», poursuit le jeune chercheur.
Un système immunitaire mis à l’écart
Autre observation intéressante: l’équipe lausannoise a constaté que les cellules tumorales qui composent les différents patterns étaient entourées par divers types de cellules du système immunitaire, censées attaquer la tumeur. «Dans les formes les moins agressives, ces dernières ne se situaient pas à proximité de la tumeur, comme si elles n'étaient pas encore alertées, alors que dans d'autres, elles étaient en "mode d'attaque" et s'infiltraient dans la région cancéreuse. Dans les configurations les plus agressives, les cellules immunitaires étaient largement tenues à distance et les quelques-unes présentes à l'intérieur de la tumeur étaient incapables de combattre la maladie», décrit Giovanni Ciriello. Tous ces scenarii ont parfois été observés simultanément chez un même malade et pourraient fournir des informations importantes pour augmenter l’efficacité des immunothérapies les plus récentes.
Et Igor Letovanec de conclure: «Cette étude souligne l'intérêt de combiner les approches scientifiques théoriques, expérimentales et cliniques. Cela sera essentiel pour dresser un tableau complet de la maladie et traduire ces découvertes en approches cliniquement applicables.»