Sous l’effet de la sélection naturelle, des plantes femelles privées de leurs mâles deviennent hermaphrodites en un temps record, ce qui leur permet de continuer à se reproduire et à transmettre leurs gènes. C’est ce que révèle une étude menée dans des jardins vaudois par le Prof. John Pannell au Département d’écologie et évolution de l’UNIL et publiée le 19 janvier 2021 dans la revue "Current Biology".
L’immense majorité des végétaux à fleurs sont hermaphrodites. En d’autres termes, ils possèdent soit des fleurs pourvues d’organes des deux sexes, soit des fleurs mâles (avec des étamines) et des fleurs femelles (avec des pistils) sur le même pied. Les autres, environ 6%, sont dits dioïques: chaque plante est soit mâle, soit femelle. Comme chez les humains, un individu de chaque sexe est alors nécessaire pour la reproduction. Dans une étude parue le 19 janvier 2021 dans la revue Current Biology, l’équipe du Prof. John Pannell au Département d’écologie et évolution (DEE) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, a découvert qu’en l’absence de mâles, des plantes dioïques femelles acquièrent, très rapidement au fil des générations, la capacité à produire des fleurs du sexe opposé. Ces hermaphrodites peuvent non seulement s’autofertiliser mais aussi disséminer du pollen (élément mâle) pour féconder les ovules des autres plantes femelles.
Production de fleurs mâles multipliée par 65
L’équipe du Prof. Pannell se penche depuis plusieurs années sur l’évolution des systèmes reproductifs chez les plantes. Pour ces travaux, le DrSc. Guillaume Cossard, premier auteur de l’article et ancien doctorant au DEE, a utilisé, avec l’aide de ses collègues, des mercuriales annuelles (Mercurialis annua), une «mauvaise herbe» très fréquente dans toute l’Europe. Concrètement, les chercheurs ont planté des graines dans plusieurs jardins privés situés entre le Lavaux et Saint-Sulpice, ainsi que sur le campus de Dorigny. À certains endroits, ils ont laissé pousser des plantes mâles et femelles ensemble, comme dans la nature. Dans d’autres, ils ont supprimé tous les mâles (et donc le chromosome Y) et attendu que la sélection naturelle opère.
«Chez les végétaux, la sexualité est parfois floue, précise John Pannell, directeur de l’étude. Il arrive, de temps en temps, qu’une plante mâle produise une fleur femelle et vice-versa. Ceci serait inimaginable chez les mammifères. Sans partenaire du sexe opposé, impossible de s’accoupler! Dans les populations sans mâles de notre expérience, les femelles ayant les deux organes sexuels possèdent donc un avantage énorme.» Résultat, après une génération seulement (chez Mercurialis annua, une génération équivaut à une année), des changements majeurs étaient perceptibles: en moyenne, les femelles produisaient 2,5 fois plus de fleurs mâles que l’année précédente. «Cette réponse à la sélection naturelle est la plus rapide jamais documentée chez des êtres vivants», se réjouit John Pannell. Et à la quatrième génération, les femelles produisaient 65 fois plus de fleurs mâles que celles qui avaient naturellement grandi en compagnie du sexe opposé.
Les scientifiques ont ensuite réintroduit des mâles. Même en compétition avec ceux-ci, les femelles «masculinisées» durant quatre générations continuaient à s’autoféconder et à disséminer du pollen pour fertiliser les ovules des autres mercuriales.
Évolution record
Plus largement, l’article illustre le pouvoir de la sélection naturelle, qui entraîne des changements dans les comportements sexuels des plantes. En un temps très court, le mode de reproduction des mercuriales annuelles a en effet évolué d’un système dioïque (séparation des sexes) vers un système hermaphrodite. «Nous savions que ce type de transition avait lieu dans la nature mais nous sommes les premiers à avoir mené une expérience qui permet d’observer un tel processus en temps réel», complète John Pannell.
Les mécanismes de l’évolution sont souvent perçus comme très lents, s’étalant sur des milliers d’années. Or les travaux du groupe lausannois montrent que ces processus peuvent être extrêmement rapides, opérant en l’espace d’à peine quelques générations. Autre fait étonnant: «La production de fleurs mâles, et du pollen qu’elles secrètent, ne nécessite pas de chromosome Y. Manifestement, le chromosome X et les autres chromosomes habituels de la plante suffisent», souligne le professeur.
Actuellement, l’équipe du DEE tente de trouver sur quelles régions du génome se situent les gènes capables de modifier la sexualité des mercuriales annuelles. En parallèle, elle continue de laisser évoluer ses plantes pour observer les éventuels autres changements, par exemple morphologiques, chez ses femelles hermaphrodites.