Durant 3 années de résidence à La Grange de Dorigny et à l’UNIL, l’artiste Gustavo Giacosa et sa compagnie SIC.12 ont mené l’enquête autour des Anonymes, et plus généralement autour du thème de l’anonymat. Une anti-conférence et un spectacle y seront consacrés en avril 2021.
Elle protège les libertés, tout en effaçant les identités. Elle peut être utile et recherchée dans un monde devenu hyper-connecté, mais aussi s’avérer une conséquence inévitable d’une masse qui noie l’individualité. L’anonymat est un concept à double tranchant qui a inspiré Gustavo Giacosa durant trois années de résidence à La Grange de Dorigny-UNIL.
Fruit de réflexions personnelles et d’échanges avec des chercheur·e·s de l’UNIL, le projet du comédien se décline sous forme d’un spectacle, « La Grâce », qui suivra l’anti-conférence « Anonymes ? » en avril 2021, ainsi que d’une exposition « Anonymes » à La Collection de l’Art Brut à Lausanne dont Giacosa est co-commissaire, ainsi qu’une publication-catalogue qui paraîtra en juin 2021. Interview.
Gustavo Giacosa, que signifie l’anonymat selon vous ?
C’est une condition inhérente à tout être humain. Quand nous arrivons au monde, nous ne savons pas qui nous sommes. Nous n’avons pas de nom. Il est imposé par des autres. La thématique de l’anonymat est liée à la quête identitaire que vit chaque être humain. Dans notre société contemporaine, le fait d’avoir un nom est fondamental. C’est ce qui nous définit. Sur le plan artistique, cela remonte au 18e siècle. On parle alors par exemple des Fables de La Fontaine. Avant, on ne parlait que de fables. Sans qu’elles soient attribuées à qui que ce soit. C’est un sujet qui exprime bien un ensemble de paradoxes.
On parle souvent d’enjeux autour de l’anonymat, aujourd’hui encore plus dans un monde hyper et interconnecté. Lesquels sont-ils ?
Il y en a plusieurs. L’anonymat est une condition qui permet le mieux comme le pire. Il permet par exemple une explosion créative pour des nombreux artistes qui ne se reconnaissent pas en tant que tel. Mais aussi le pire quand on pense à la violence, aux crimes. Tout le paradoxe réside en réalité dans le fait qu’il est devenu presque impossible d’être anonyme aujourd’hui à l’ère où tout doit être transparent. C’est là que tente de surgir une nouvelle forme d’anonymat, avec les hackers par exemple, qui revendiquent une liberté d’expression, de rester anonymes, de ne pas être absorbés par un type de société dans laquelle ils ne se reconnaissent pas.
Ne doit-on pas considérer que l’anonymat doit aussi connaître des limites ? Dans la mesure où, sous couvert d’anonymat justement, certains commettent des actes, souvent néfastes, qu’ils ne se permettraient pas si on connaissait leur identité.
Le but d’une rencontre avec scientifiques et artistes est de poser ces différents éléments sur la table, sans jugement. Une fois cela dit, il faut aussi souligner que l’exercice démocratique est délicat. C’est une tension entre le centre et la périphérie, entre ce qui est accepté ou ne l’est pas. Toute forme de délimitation peut aussi être perçue comme forme de limitation de l’exercice de la liberté. L’anonymat questionne aujourd’hui l’essence de nos démocraties. Nos sociétés contemporaines voient ressurgir des formes d’autoritarisme soutenues par la masse, comme nous avons déjà pu les connaître par le passé. C’est un sujet cyclique. Et il ne faut pas oublier que par anonymat, on entend aussi les « invisibles ». Ce n’est pas seulement l’individu, mais aussi la masse. Il sera donc intéressant d’entendre plusieurs voix s’exprimer autour de ce concept lors de la conférence. Le point de vue d’un sociologue, d’une philosophe, ou celui de la médecine légale. Aujourd’hui par exemple, nous sommes confrontés aux tragédies qui se déroulent en Méditerranée. Il faut pouvoir rendre leur identité aux corps retrouvés en mer. On voit donc de nouveau apparaître cette idée de paradoxe. Il y a une responsabilité éthique à rendre leur nom à certains, mais préserver l’anonymat d’autres qui préfèrent rester noyés dans la masse face à des figures totalitaires.
« Anonymes ? »
L’anti-conférence animée par Gustavo Giacosa, prendra place en avril 2021, suivie du spectacle « La Grâce » à la Grange de Dorigny-UNIL. Une exposition à La Collection de l’Art Brut à Lausanne, accompagnée d’une publication-catalogue, est aussi en préparation et ouvrira ses portes le 26 juin 2021.