Tous les jours, le service de microbiologie du CHUV analyse des prélèvements afin de déterminer si des personnes ont été infectées par le coronavirus SARS-CoV-2. Les quantités de résultats d’analyses générées peuvent être visualisées en temps réel et faciliter la gestion du laboratoire grâce à un outil informatique développé par le Département des opérations de la Faculté des HEC, en étroite collaboration avec le service de microbiologie.
Dans le canton de Vaud, une dizaine de laboratoires analysent dans l’ombre les échantillons recueillis au fond du nez de personnes potentiellement contaminées par le SARS-CoV-2. Un des plus grand d’entre eux est le laboratoire de microbiologie du CHUV, installé à la cité hospitalière. Certains jours, début novembre, plus de 1700 prélèvements y ont été traités grâce à la méthode PCR, qui consiste à détecter le matériel génétique du coronavirus dans l’échantillon (le frottis naso-pharyngé pour la plupart).
Pour le patient, la question est simple : suis-je infecté, ou non? Du côté du laboratoire, de l’hôpital et des autorités sanitaires, d’autres interrogations existent: par exemple, comment évolue le nombre de tests? Comment la proportion de tests positifs a-t-elle varié au cours des dernières semaines? Quel médecin ou quel centre de tests a demandé l’analyse? Quelle est la charge virale des échantillons? Quelle tranche d’âge est le plus touché?
Visualisation de données
L’Institut de microbiologie du CHUV suit ces différents indicateurs pour assurer un service fiable et adapté aux besoins, mais leur extraction via le système d’information interne et leur visualisation, étaient basés sur des scripts R ou des extractions Python de l’interface informatique du laboratoire, ce qui prenait du temps aux médecins et biologistes du service de microbiologie. Pour simplifier cette opération, le Département des opérations de la Faculté des HEC a concocté un outil informatique et graphique sur mesure, appelé dashboard.
Grâce à ce dernier, les collaborateurs du laboratoire de microbiologie visualisent d’un coup d’œil les données issues des analyses menées 7 jours sur 7. «Nous gagnons du temps et une meilleure vision de la charge de travail attendue le lendemain», explique Onya Opota, biologiste responsable de ces analyses de type PCR. Comment? «Lorsque par exemple le nombre de test et la proportion de positifs s’accroit, nous pouvons réorganiser le service en allouant les renforts nécessaires», indique Katia Jaton, en charge de ces tests PCR jusqu’à fin novembre, et aujourd’hui jeune retraitée.
Anticiper
Le dashboard «constitue un outil d’aide à la décision pour l’activité du laboratoire, note Valérie Chavez, professeure au Département des opérations de la Faculté des HEC. Quand vous affichez un immense tableau Excel à l’écran, vous n’arrivez pas à en extraire directement les informations les plus pertinentes, ni à percevoir les tendances qui s’y cachent. Notre application le permet.» Katia Jaton confirme que le programme permet de réaliser des projections, «afin d’anticiper des montées en puissance et de gérer plus précisément le stock en réactifs». Ce qui répond à des questions typiques de management comme: faut-il dédier davantage de spécialistes aux analyses? Doit-on commander du matériel? «Nous avions besoin de nouveaux outils, d’utilisation plus aisée, plus intuitifs. Imaginez: nous en sommes à plus de 120 000 analyses SARS-CoV-2 dans notre laboratoire», souligne Onya Opota.
La première analyse a été réalisée le 14 février. «Dès le début, nous avons mis en place un logiciel basé sur le langage R, grâce aux compétences de deux jeunes bioinformaticiens du service, nous permettant de garantir la qualité des résultats rendus», précise le professeur Greub, directeur du service. «Cependant, ces scripts n’étaient pas intégrés dans un dashboard et la réalisation de statistiques et de comptes-rendus prenait du temps. Nous avons beaucoup apprécié la collaboration avec le Département des opérations, qui est parvenu à entrer dans notre monde sans le connaître, et à nous fournir rapidement un outil.»
Du côté de l’UNIL, Emma Maury (doctorante en Business Analytics, à la Faculté des HEC), Marc-Olivier Boldi (MER) et Valérie Chavez sont impliqués dans le projet. « Chacun apporte sa compétence mais connaît ses limites », complète Onya Opota. L’équipe de la Faculté des HEC nous a apporté ses compétences informatiques, et nous possédons les aspects biomédicaux.» Pour Katia Jaton, « il est très positif de sortir de son monde. La transdisciplinarité est un véritable enrichissement ».
Langage R
Sur le plan informatique, ce nouvel outil s’appuie également sur le langage R, largement utilisé dans les domaines de la science des données et de la statistique. Sur cette base, l’équipe du Département des opérations a créé une shiny app, c’est à dire une application web interactive.
Le projet n’est pas centré uniquement sur le coronavirus. «Nous avons souhaité y ajouter d’autres virus causant également des symptômes respiratoires», explique Onya Opota. Afin d’organiser l’activité du laboratoire au mieux, le dashboard intègre donc les analyses permettant de détecter le virus de la grippe et le virus respiratoire syncytial, responsable de bronchiolites chez les tout-petits. Notons que le dashboard préserve une totale confidentialité puisqu’il n’accède pas aux données des patients.
Congestion des hôpitaux
Ce partenariat entre microbiologie et management ne tombe pas du ciel. Dans le cadre d’un projet soutenu par le FNS, Valérie Chavez et ses collègues se sont intéressés à la congestion de flux de patients dans les hôpitaux. «La théorie des valeurs extrêmes est l’un de mes domaines de recherche, précise la mathématicienne. Dans cette branche de la statistique, on cherche à modéliser, voire à prévoir les événements rares.» C’est dans ce cadre que la chercheuse de l’UNIL est entrée en contact avec le CHUV, car la grippe saisonnière est une source de congestion des services qu’un hôpital souhaite anticiper. «Nous avons par exemple utilisé les données météorologiques lausannoises. Lorsqu’il pleut, les habitants utilisent davantage les transports publics, ce qui augmente les risques de contagion», note la professeure.
Vertus pédagogiques
Le dashboard possède des vertus pédagogiques. «L’orientation Business Analytics du master en management de la Faculté des HEC offre une formation quantitative à nos étudiants. Ils approchent la science des données et apprennent notamment à créer des shiny apps», précise l’enseignante. Le projet mené avec le CHUV démontre que les connaissances acquises lors des cours peuvent s’appliquer dans le domaine sociétal. Enfin, pour la Professeure Valérie Chavez, «c’est une grande satisfaction de voir que la recherche fondamentale, dans mon domaine, se traduit concrètement sur le terrain.»