La professeure honoraire Béatrice Desvergne rejoint le Sénat de l’Académie Suisse des Sciences Médicales, qui l’a élue membre d’honneur. Rencontre
Nous sommes dans un café lausannois, où Béatrice Desvergne évoque son élection au Sénat de l’Académie Suisse des Sciences Médicales. Élue membre d’honneur – comme personnalité ayant rendu d’éminents services dans le domaine biomédical – elle est ainsi appelée à siéger à vie dans cette institution financée et consultée par la Confédération sur les grandes questions biomédicales, et qui s’engage comme médiateur entre la science et la société.
« Je suis très honorée car l’ASSM joue un rôle central dans les débats scientifiques, éthiques et politiques sur les enjeux de la recherche biomédicale et de la recherche clinique, et de la formation des médecins en particulier ; je me réjouis de pouvoir contribuer à la réflexion dans le cadre de projets très concrets concernant la médecine personnalisée, par exemple, ou au sujet de la smarter medicine, sur l’utilité ou pas de faire certains examens et traitements, ou encore autour d’un système de santé durable », esquisse-t-elle.
Bretonne dans l’âme, la professeure Desvergne porte bien son caractère. Spontanée, directe, allergique aux intrigues. « Les soucis d’intégrité et de respect sont les valeurs auxquelles je tiens le plus », affirme-t-elle. Née en 1954, cette spécialiste de l’endocrinologie et du métabolisme au niveau moléculaire s’est intéressée ces dernières années à la biologie des systèmes « car un cheminement moléculaire unique explique rarement une pathologie ». Passionnée par la recherche fondamentale, qu’elle a pratiquée notamment au Centre intégratif de génomique (CIG), elle n’a pourtant pas choisi cette voie d’emblée.
Les années au CIG
Celle qui fut mère à 19 ans a d’abord travaillé en médecine générale, puis comme anesthésiste dans divers hôpitaux et cliniques de Bretagne et du Val de Loire, tout en effectuant un parcours en philosophie jusqu’à la licence, et un cursus de biologie. Animée par la quête des mécanismes biologiques les plus complexes, elle rejoint alors un laboratoire américain spécialiste du diabète et des maladies du système digestif. En 1992, elle est engagée à l’UNIL sur un poste de relève à l’Institut de biologie animale, qui formera le premier socle du futur CIG : dirigé par Walter Wahli, puis Nouria Hernandez, le CIG sera inauguré le 27 octobre 2005 et représente la contribution essentielle de l’UNIL au Programme « Sciences, Vie, Société » destiné à coordonner les développements lémaniques en sciences de la vie et en sciences humaines.
Le travail pour l’égalité
A cette date, Béatrice Desvergne est professeure associée à la Faculté de biologie et de médecine, créée en 2003. Elle sera nommée professeure ordinaire en 2008 après avoir exploré toute une gradation entre professeure assistante, extraordinaire puis associée, un parcours long, patient et combatif, dont elle se souviendra avec émotion lorsqu’à l’invitation de la Direction de l’UNIL elle prendra la présidence de la Commission Égalité en 2015. « Travailler sur l’égalité c’est contribuer à créer un environnement aussi égalitaire que possible, qui donne aux femmes bien formées une visibilité ainsi que des conditions de travail et de carrière comparables à celle des hommes ; ce sont des efforts toujours à poursuivre pour parvenir à une sorte d’équilibre naturel. Aujourd’hui, les améliorations sont certes réelles, mais demeurent insuffisantes, instables et fragiles », précise-t-elle.
Doyenne de la FBM
Un an après son accession au titre de professeure ordinaire, elle préside la Section des sciences fondamentales de la FBM et s’attache à faire le lien avec le décanat. Nommée très vite dans l’équipe décanale du professeur Patrick Francioli, elle est en charge des Sciences Fondamentales. Lors de la succession du doyen, elle sera la première doyenne d’une faculté de médecine en Suisse romande, et la première biologiste nommée à la tête de la FBM, un poste qu’elle occupera durant un mandat, entre 2012 et 2015, et qui sera repris par un clinicien.
Un livre sur l’émergence de la médecine personnalisée
Son congé scientifique l’amènera ensuite à réaliser deux séjours en tant que professeure invitée, l’un à l’École Normale Supérieure (ENS), à Paris, et l’autre dans un laboratoire allemand de bio-informatique à l’Université de Rostock. Le livre qu’elle publie en 2019 aux Éditions Rue d’Ulm – De la biologie à la médecine personnalisée : mieux soigner demain ? – est le fruit de ce double séjour. Elle s’appuie sur son expérience du développement des sciences biomédicales pour décrire « l’espoir fou » placé initialement sur la biologie moléculaire, ses percées et la nécessité d’avancer par-delà ses limites, puis le tournant du big data, de la génomique, de la biologie des systèmes et de la modélisation du vivant qui ont fait émerger la médecine personnalisée et ses nouvelles promesses aussi bien curatives que préventives.
Sur le plan personnel, scientifique ou sur celui de l’égalité des sexes, Béatrice Devergne s’accorde avec ces mots de Confucius cités lors de sa leçon d’adieu en septembre 2019 : « Celui qui ne progresse pas chaque jour, recule chaque jour ». Il s’agit donc bien d’avancer et de la meilleure des façons possibles, pourrait-on ajouter à son écoute.