Dans le cadre du Master en science politique, les enseignant·e·s de l’atelier pratique de recherche en enquêtes qualitatives proposent à leurs étudiant·e·s de réfléchir aux modalités d’adaptation de l’enquête qualitative, et plus précisément ethnographique, dans un contexte d’incertitude et d’insécurité.
L’APR vise à initier les étudiant·e·s de niveau Master à la conduite d’une enquête de terrain, en leur apprenant à produire et analyser les données issues d’enquêtes de terrain. Cette année, les enseignant·e·s ont dû réfléchir à la manière d’adapter les techniques d’enquête habituelles (observation ethnographique, entretiens, sources documentaires) afin que les normes sanitaires soient respectées.
Les enseignant·e·s de cet atelier pratique de recherche (APR), Martina Avanza, Mounia Bennani-Chraïbi et Ahmed Chapi, ont considéré que la crise sanitaire pouvait constituer un analyseur privilégié de plusieurs questions majeures.
Cette année, ils ont adapté leur thématique à la crise sanitaire. « Fin août, nous avons décidé de prendre le taureau par les cornes, et au lieu de subir les incertitudes liées à la pandémie, de les prendre comme objets d’étude. Du coup, nous avons opté pour le thème “Covid-19 : enquêter sur la crise en contexte de crise” » explique la Prof. Bennani-Chraïbi. « Nous sommes partis du constat que l’enquête de terrain est par nature soumise à de nombreux aléas, et plusieurs publications ont traité de l’enquête en “contexte difficile” (répression, conflit armé, etc.), mais les politiques mises en œuvre pour entraver la diffusion du virus impactent tout autrement les conditions de possibilité d’une enquête qualitative. »
Le premier défi consistait donc à explorer des procédés pour enquêter pendant une crise sanitaire. « Du fait des annonces de nouvelles mesures sanitaires, nous avons dû adapter au fur et à mesure et chercher des solutions pour poursuivre les enquêtes de terrain, par exemple en faisant des entretiens sur Zoom », commente Martina Avanza. « Malgré des fermetures de terrain (qui font partie de l’apprentissage), dans l’ensemble, les étudiant·e·s de l’APR en enquêtes qualitatives ont pu démarrer leurs enquêtes pendant la semaine intercalaire ». Ils·elles ont choisi différents sujets :
Martina Avanza souligne que « les étudiant·e·s étaient assez inquiet·e·s quand on leur a présenté l’atelier. Comme nous l’apprend la sociologie des crises, l’incertitude est le propre de ces phases de difficile intelligibilité. Or, nous demandions aux étudiant·e·s de sauter la tête la première dans cette incertitude et d’en faire leur objet d’investigation. Dix-sept d’entre elles et eux ont été assez audacieuses/x (ou inconscient·e·s) pour nous suivre, et nous pensons qu’ils·elles ne le regrettent pas ! La crise sanitaire que nous traversons a fortement bouleversé leurs vies et leur expérience de l’université. Pour les étudiant·e·s (et pour leurs enseignant·e·s), pouvoir réfléchir à ce que nous traversons est non seulement intellectuellement stimulant, mais aussi, d’une certaine façon thérapeutique. »
Pour Ahmed Chapi, « à coup sûr, du fait des adaptations continues dont ont dû faire preuve les étudiant·e·s dans ce contexte incertain, ils·elles sont désormais plus aguerri·e·s au niveau méthodologique pour mener à bien leurs futures enquêtes de terrain. D’habitude, lors de ces semaines de terrain, nous tenons des débriefings collectifs quotidiens autour des avancées de terrain et partageons des moments plus conviviaux. Il est clair que si ces moments d’échange n’ont pas pu avoir lieu en raison du contexte actuel, ils n’en demeurent pas moins importants, car ils permettent aussi bien la circulation des expériences et difficultés issues des terrains que le renforcement des liens entre étudiant·e·s. » Mais, l’équipe enseignante qui a repensé le format de l’atelier, en envisageant une séance en plénière et des séances de tutorat, réfléchit également à des moyens pour renforcer la dynamique collective.