Une recherche menée par des biologistes de l’UNIL et de la Fondation KORA (Écologie des Carnivores et Gestion de la Faune Sauvage) décrypte la relation entre l’humain et la panthère des neiges. Les résultats, publiés récemment dans "Global Ecology and Conservation", sont le fruit de 261 interviews menées auprès de bergers de la province de Bayan-Ölgii, en Mongolie.
L’extension des activités humaines mène à des interactions de plus en plus proches avec la faune sauvage. Du fait qu’ils évoluent sur de vastes territoires et de leur régime carnivore, les grands prédateurs sont particulièrement enclins à entrer en contact avec l’Homme. La cohabitation pose parfois problème puisque ces animaux peuvent occasionner des dégâts économiques conséquents, en s’attaquant au bétail entre autres.
Dans une étude située à mi-chemin entre biologie de la conservation et sciences sociales, des chercheurs du Département d’écologie et évolution (DEE) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, en collaboration avec un scientifique de la Fondation KORA, basée dans le canton de Berne, se sont focalisés sur les relations entre l’Homme et les grands carnivores, la panthère des neiges en particulier. Cette espèce menacée vit dans les hautes montagnes d'Asie centrale, notamment dans l'Altaï, une chaîne montagneuse située entre la Russie, la Chine, la Mongolie et le Kazakhstan.
Peur de la grande méchante panthère ? Pas vraiment…
Claudio Augugliaro, premier auteur de l’étude et doctorant au DEE est allé à la rencontre de 261 bergers vivant dans la province de Bayan-Ölgii, à l’extrême ouest de la Mongolie. Le but ? Mieux comprendre, leurs pratiques pastorales au quotidien et la manière dont ils perçoivent non seulement la panthère des neiges (Panthera uncia), mais aussi le loup (Canis lupus) et le glouton (Gulo gulo), deux autres carnassiers présents dans cette région.
« L’analyse des interviews montre que les bergers imputent environ 50% de leurs pertes à des agressions par de grands prédateurs. L’autre moitié du bétail meurt des suites de maladies et en raison d’hivers trop rigoureux. Et aucun des participants n’a rapporté d’attaque contre un être humain », explique Philippe Christe, professeur au DEE et coauteur de l’étude publiée dans l’édition de décembre 2020 de la revue Global Ecology and Conservation.
Globalement, le sondage révèle que la panthère des neiges et le glouton sont très bien acceptés… Mais pas le loup. Peu étonnant quand on sait que, selon les bergers interrogés, 95% de leurs bêtes tuées par de grands prédateurs le sont par ces canidés. « Mais, contrairement à ce qui a été montré dans d’autres travaux, ici, l’image négative du loup n’a pas supprimé la tolérance dont les éleveurs font preuve à l’égard de la panthère des neiges », précise le DrSc. Fridolin Zimmermann, dernier auteur de l’étude et biologiste de la faune sauvage auprès de la Fondation KORA. Autre spécificité : cette recherche est la première menée dans une région majoritairement musulmane. « Chez les bouddhistes, la panthère des neiges est très respectée, voire vénérée, et il semble que ce soit aussi le cas ici », se réjouit Philippe Christe.
Préserver les traditions
Dans l’Altaï, l’être humain a toujours cohabité avec les grands prédateurs et les potentielles menaces qui en découlent. Les travaux montrent que les pratiques traditionnelles nomades (déplacement des camps), ainsi que les moyens de prévention (recours à des chiens de garde et à des enclos à bétail) portent leurs fruits. « Il s’agit donc d’encourager et de valoriser ce savoir-faire ancestral », souligne Philippe Christe.
Pourtant, la province de Bayan-Ölgii, comme d’autres en Mongolie, s’est profondément transformée depuis la chute du communisme. Le pays est aujourd’hui le deuxième producteur mondial de laine cachemire. Pour permettre à cette industrie de prospérer, le nombre de chèvres dans le pays est passé de 5 millions en 1990 à 27 millions en 2017. « L’emprise des humains sur l’environnement est de plus en plus marquée, note Fridolin Zimmermann. Les animaux domestiques empiètent notamment sur les territoires des proies naturelles des grands prédateurs comme les bouquetins. » Mais comment encourager les bergers à réduire la taille de leurs troupeaux, sans perdre d’argent ? Une des pistes proposées serait d’augmenter la valeur économique individuelle de chaque animal de rente. Ou de permettre aux habitants de générer des revenus alternatifs, par exemple via la vente de produits dérivés ou la pratique de l’écotourisme. « Dans tous les cas, la mise en place d’une gestion durable à long terme suppose que tous les acteurs – bergers, gouvernement et services de la faune – soient activement impliqués dans les discussions », souligne Fridolin Zimmermann.
Les travaux de l’équipe se poursuivent sur place, dans la province de Bayan-Ölgii. Claudio Augugliaro tente actuellement d’évaluer, à l’aide de pièges photographiques, l’abondance de la panthère des neiges dans la région. Dans un second temps, il cartographiera précisément son aire de présence.