Aurélie Crausaz, doctorante à l’UNIL, étudie un large corpus de fragments issus des fouilles archéologiques de la Lausanne antique. L’analyse de ces objets donnera des indications sur le quotidien des habitants de Lousonna.
Dresser l’inventaire de 23'000 artefacts issus des fouilles menées depuis le XIXe siècle jusqu’à 2018 à Vidy, site de la ville romaine de Lausanne. Telle est la mission actuelle d'Aurélie Crausaz pour son début de thèse à l’Institut d’archéologie et des sciences de l’Antiquité (IASA). La doctorante étudie une partie du « petit mobilier », instrumentum en latin : des artefacts en métal, pierre, corne ou os, que les Romains utilisaient au quotidien. « L’un des objectifs principaux de ma thèse est de proposer un catalogue exhaustif de ces objets, conservés au Musée romain de Vidy », lance la chercheuse.
Aurélie Crausaz nous montre une ferrure pas encore restaurée. « Ces objets sont des renforts de meubles ou d’éléments immobiliers. Mais sans autres fragments en association, il est impossible de trancher entre les hypothèses », explique l’archéologue, qui sort ensuite un petit couteau en bronze, dont la couleur dorée de base a viré au vert à cause de la corrosion du cuivre. Au vu de ce matériau et du fait qu'il ait été retrouvé dans une habitation romaine, l'universitaire déduit qu'il a pu être utilisé dans un cadre religieux, chaque famille possédant un autel pour ses propres divinités.
L'autre but de sa thèse est de parvenir à caractériser la fonction, qu'elle soit artisanale, commerciale, religieuse ou résidentielle, des quartiers, bâtiments, voire locaux de Lousonna, un vicus (agglomération secondaire) d'importance du point de vue commercial avec son port. « Je m’intéresse aussi particulièrement aux problématiques de la fondation de Lousonna (vers 35 av. J.-C.) et son abandon progressif dès le IVe siècle au profit de la colline de la Cité, où naîtra la ville médiévale de Lausanne. » En étudiant l'évolution des zones artisanales, par exemple les forges souvent en périphérie, elle espère aider à déterminer les étapes de l’abandon du vicus.
« Super Lousonna »
La thèse d'Aurélie Crausaz s'inscrit dans le projet « Lousonna : activités et économie d'une ville antique par l'étude archéologique et numérique de ses mobiliers », ou « Super Lousonna » pour les initiés. Ancré à l'IASA, il est dirigé par le professeur Thierry Luginbühl et soutenu par le Fonds national suisse. À chacun son expertise : la restauratrice Heloisa Munoz nettoie l'instrumentum en fer, le chercheur Nicolas Consiglio étudie les pièces de monnaie et la collaboratrice scientifique Sylvie Barrier, la céramique. « C’est généralement l'association des objets au sein d’une même couche archéologique qui permet de proposer une datation, en croisant les résultats des chercheurs. » Utile pour Aurélie Crausaz, qui indique par exemple que les outils, aux formes souvent intemporelles comme les serpes, sont difficiles à inscrire dans une fourchette de temps.
En plus d'une publication commune finale, « Super Lousonna » proposera des dispositifs numériques réutilisables par toute la communauté scientifique locale et régionale, en open access. « Dont un système d'information géographique de Lousonna comprenant tous les plans existants du site, développé par l'archéologue Pascal Brand. Nous pourrons y intégrer ensuite nos objets et proposer des cartes de répartition », relève la chercheuse. Cette base de données lui permettra de visualiser spatialement les 23'000 fragments, dont certains, enveloppés de mystère (ou d'une gangue de corrosion due aux sables lacustres !), la rendent bien perplexe.