L’origine et le maintien de comportements altruistes chez les animaux s’expliquent par les liens de parenté entre individus. C’est ce que confirme une étude menée par des biologistes du Département d’écologie et évolution de l’UNIL et qui vient de paraître dans le journal « PNAS ».
Au sens biologique, on parle d’altruisme quand, par ses actions, un être vivant réduit ses propres chances de reproduction et de survie (sa « fitness ») pour augmenter celle des autres. Chez certaines espèces de martins-pêcheurs par exemple, au lieu de fonder une famille, les jeunes restent quelques temps au nid pour aider leurs parents à élever les autres oisillons.
Ces comportements ont longtemps laissé les scientifiques perplexes. En effet, la sélection naturelle favorise normalement tout gène qui accroît la reproduction et la survie d’un individu. Ceci, dans le but « égoïste » que ce dernier transmette son propre patrimoine génétique. L’altruisme aurait ainsi dû disparaître avec le temps. Alors comment se fait-il que, dans un monde où chaque animal lutte pour sa survie, consacrer du temps et de l’énergie pour aider son prochain reste monnaie courante ?
Aider oui, mais pas n’importe qui
Une étude, dirigée par les Profs Laurent Lehmann et Laurent Keller au Département d’écologie et évolution (DEE) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, montre que les liens de parenté entre individus constituent la seule explication possible au fait que l’altruisme se perpétue. Les travaux ont été publiés début novembre 2020 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS).
« Selon la théorie appelée "sélection de parentèle", la sélection naturelle peut mener à une diminution du succès reproducteur d’un organisme, tout en favorisant celui d’un autre, à condition que le donneur (l’altruiste) et le receveur soit apparentés, explique Laurent Keller. Prenez deux sœurs, illustre le spécialiste. Elles partagent 50% de leurs gènes. Si l’une des deux investit son énergie pour que la seconde puisse faire deux fois plus de bébés, alors la première verra tout de même ses propres gènes – ceux qu’elle a en commun avec sa sœur – transmis à la génération suivante, ses neveux et nièces. » Ainsi, même si la « donneuse » ne perçoit pas de profit direct, elle aura tout de même propagé son patrimoine indirectement, via un parent.
Abeilles, écureuils et oiseaux, tous prêtent main forte
Des comportements altruistes ont été documentés chez plus de 220 espèces d’oiseaux et 120 espèces de mammifères. Certains écureuils, qui crient pour avertir d’un danger, le font bien plus souvent lorsqu’ils sont entourés de leurs proches. Au péril de leur propre vie.
Les cas les plus extrêmes se trouvent parmi les insectes sociaux. Chez les fourmis et les abeilles, les ouvrières ne se reproduisent pas et consacrent leur existence à veiller sur la colonie et la reine, leur mère, seul individu fertile. Les abeilles, en piquant, donnent même leur vie pour protéger les intérêts des leurs. « Mais il ne faut pas s’imaginer que l’individu ait une quelconque intention consciente de vouloir se sacrifier pour ses proches, avertit Laurent Keller. Ce sont des processus évolutifs qui ont sélectionné, génération après génération, les gènes qui favorisent l’altruisme. »
Une idée remise au goût du jour
La théorie de la « sélection de parentèle » a été développée dans les années 60 par le biologiste britannique William Donald Hamilton. « Pendant les décennies qui ont suivi, des chercheurs, se focalisant parfois sur l’évolution humaine, ont prétendu avoir trouvé des alternatives pour expliquer comment l’altruisme pouvait se perpétuer », relatent le Profs Keller et Lehmann. Or ici, Tomas Kay, doctorant au DEE et premier auteur de l’étude, a compulsé 200 articles scientifiques traitant de l’évolution de l’altruisme. Résultat, les travaux publiés dans PNAS montrent qu’à chaque fois où la sélection de parentèle n’a pas été prise en considération, voire occultée, elle opère en réalité bel et bien. « Nos résultats prouvent que le principe fondateur découvert par Hamilton est la seule explication possible au fait que l’altruisme existe encore et évolue », conclut le trio.