Marie Métrailler est depuis peu Docteure en science politique, après avoir soutenu sa thèse intitulée « Du droit au logement au droit du logement. L’Association suisse des locataires entre action politique et juridique. » Elle revient sur son parcours de thèse immergée au sein de l’Asloca.
Marie, comment en êtes-vous arrivée à travailler sur l’Asloca ?
Lors d’un séminaire de master en méthodes qualitatives, nous devions comprendre comment les organisations se saisissent du droit pour défendre leur cause. Avec une camarade de Master, nous sommes donc entrées en contact avec l’Asloca Genève, qui est d’abord un collectif d’avocat·e·s qui délivrent des conseils juridiques à ses membres. Cela nous semblait être un terrain de recherche pertinent. À l’issue de ce travail, nous avons découvert que la plupart des associations de défense des locataires en Suisse romande était nées à la suite d’un mouvement social qui revendiquait alors un « droit au logement ». J’ai ensuite profité du mémoire pour approfondir cette réflexion et analyser les conditions d’émergence de cette mobilisation. Ce qui m’avait alors frappée, c’était l’absence totale de littérature secondaire sur le sujet, alors que la Suisse compte une majorité de locataires, que l’association rassemble aujourd’hui plus de 220'000 membres au niveau suisse et qu’elle a largement contribué à définir aujourd’hui les relations contractuelles entre locataires et bailleurs contenu dans le droit du bail. Ma thèse a donc permis de mettre à jour l’histoire de la protection des locataires en Suisse à travers l’analyse de la conquête de droit pour les locataires, qui a façonnée depuis les années 1970 le groupe d’intérêt qu’est aujourd’hui l’Asloca Suisse. J'ai analysé ensuite à partir d’une focale sur l’Asloca Vaud comment, au niveau cantonal, les sections s’organisent pour permettre aux locataires de se saisir de leur droit en développant des bureaux juridiques, tout en continuant à s’investir sur le terrain politique. L’articulation entre ces deux niveaux – fédéral et cantonal – est fondamentale pour comprendre comment s’opère la défense des locataires en Suisse, puisqu’il s’agit du droit privé et que la protection contre les hausses de loyers par exemple devient effective uniquement lorsque les locataires font recours devant une autorité compétente.
Quelles ont été vos expériences les plus enrichissantes ?
Un terrain sur lequel presque rien n’était produit m’a demandé une recherche empirique très importante qui a impliqué à la fois une démarche historique et ethnographique, tout en prenant en compte les différents niveaux d’action des associations, soit fédéral et cantonal ! En parallèle d’une recherche documentaire, j’ai donc intégré les différentes instances de l’Asloca Vaud qui a alors eu la gentillesse de m’accueillir. Pour saisir les enjeux relatifs au droit du bail, par exemple, je me suis engagée comme bénévole lors des permanences juridiques dans la section de Lausanne. J’ai appris les bases du droit du bail en suivant les activités des salarié·e·s, de nombreuses consultations, ainsi qu’un cours consacré uniquement au droit du bail à l’Université de Neuchâtel. Cette recherche m’a offert la possibilité d’intégrer un univers nouveau, qui est celui de la défense des locataires dans les instances judiciaires, en suivant les salarié·e·s de l’Asloca et certain·e·s avocat·e·s proche de l’association dans les commissions de conciliation jusqu’au Tribunal des baux et loyers. C’était pour moi une très grande richesse d’avoir accès aux différentes scènes de la défense des locataires, que cela soit lors d’une Assemblée générale de l’Asloca Suisse, une négociation devant une salle d’audience, ou encore au marché en récoltant des signatures. Finalement, l’enquête de terrain est l’aspect qui m’a le plus plu et qui a le plus marqué mon parcours académique.
Quel regard portez-vos aujourd’hui sur votre rôle dans la société ?
J’ai décidé de ne pas poursuivre ma carrière dans le monde académique. Dès lors, je souhaite que les compétences et les connaissances que j’ai acquises puissent être mises au service de la défense des locataires et plus largement pour la réalisation d’une société plus solidaire et égalitaire. Je pense qu’il est fondamental de travailler en Suisse sur les mobilisations sociales et politiques, ces recherches permettent de rappeler que nos droits politiques et sociaux sont d’abord le résultat d’une lutte et qu’ils sont constamment remis en question. Il faut ainsi être continuellement sur ses gardes, par exemple en faisant exister cette mémoire collective. Ce type de recherche vient casser l’idée préconçue d’une Suisse où règne tranquillité et paix du travail et permet de légitimer des combats politiques actuels qui saisissent également des arènes judiciaires : je pense ici au groupe « Urgence climatique, » ou aux mobilisations contre les violences sexistes.