Une étude menée au Département de biochimie de l’UNIL met au jour le rôle essentiel joué par certaines hormones sexuelles, notamment la testostérone, dans le développement du mélanome, le plus dangereux des cancers cutanés. Supprimer la communication entre ces hormones et leurs récepteurs a un effet bénéfique : les cellules malades prolifèrent moins et le système immunitaire s’active pour combattre la tumeur. Les travaux viennent de paraître dans le "Journal of Experimental Medicine".
Le mélanome figure au cinquième rang des tumeurs les plus répandues dans le monde. Comme dans de nombreux autres types de cancers, les femmes s’en sortent mieux que les hommes. Chez elles, le mélanome est moins fréquent et, lorsqu’il apparaît, répond mieux aux traitements. Une des explications possibles est à chercher du côté des hormones sexuelles.
Une étude menée par la DreSc. Min Ma et le DrSc. Soumitra Ghosh, postdoctorant·e·s au Département de biochimie de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, sous la houlette du Prof. Gian-Paolo Dotto, révèle le rôle essentiel des hormones sexuelles dites « androgènes » dans le développement de mélanomes. Ces molécules, qui comprennent notamment la testostérone, sont secrétées principalement par les hommes. Mais pas seulement. Les femmes en produisent aussi, en plus petite quantité. Pour stimuler les caractères « mâles » chez les vertébrés, ces hormones se lient à des protéines – les récepteurs des androgènes –, ce qui déclenche une succession de changements, notamment dans la transcription de gènes, le cycle cellulaire, etc.
Briser la liaison entre l’hormone et son récepteur
Plus précisément, l’étude publiée le 28 octobre 2020 dans le Journal of Experimental Medicine montre que bloquer l’activité des récepteurs des androgènes dans les cellules de mélanome, et ainsi la communication avec les hormones, a un impact positif. D’une part, cette coupure induit des cassures massives dans l’ADN des cellules malades et déclenche leur sénescence. En d’autres termes, elles « vieillissent » davantage et se multiplient moins. D’autre part, le blocage de la liaison entre l’hormone androgène et son récepteur active le système immunitaire, en particulier la production d’interférons, des protéines qui ont pour rôle de défendre l’organisme contre des agents pathogènes comme les virus, bactéries ou cellules tumorales. Parallèlement, différents types de globules blancs (macrophages, lymphocytes T cytotoxiques) sont recrutés pour combattre le cancer.
Pour bloquer l’activité des récepteurs des androgènes, les chercheurs ont d’abord utilisé des techniques génétiques. Réduisant littéralement ces protéines au silence (silencing). D’abord in vitro, dans des cellules de mélanomes, puis in vivo chez des souris. Fait très intéressant, ils ont découvert que des médicaments produisent le même effet.
Des médicaments en complément à l’immunothérapie
« Ces résultats pourraient avoir d’importantes implications cliniques en ce qui concerne la recherche sur le mélanome », estime le Prof. Gian-Paolo Dotto, directeur de l’étude. En effet, les patients souffrant de mélanomes sont fréquemment soignés par immunothérapie, traitement qui repose sur la stimulation des défenses naturelles du corps afin de détruire les cellules cancéreuses et combattre la maladie. « Chez les personnes qui répondent mal à la thérapie et dont les récepteurs des androgènes sont actifs, nous pourrions imaginer administrer des inhibiteurs du récepteur d’androgène, poursuit la Dre Med. Berna Özdemir, cheffe de clinique au Département d’oncologie UNIL-CHUV qui a également participé aux recherches. Ceux-ci sont utilisé depuis des années pour le traitement du cancer de la prostate, ils sont très bien tolérés. Une combinaison de ces médicaments avec l’immunothérapie pourrait stimuler le système immunitaire du patient et augmenterait les chances que l’immunothérapie porte ses fruits. » Les deux scientifiques espèrent prochainement entamer des essais cliniques sur une dizaine de personnes souffrant d’un mélanome.
Un espoir pour les femmes, autant que pour les hommes
Les travaux, réalisés en collaboration avec l’Université de Zurich, ont été menés sur des cellules de mélanomes provenant des deux sexes. Ils montrent que le blocage génétique ou pharmacologique des récepteurs des androgènes a un effet positif, indépendamment du niveau d’expression desdits récepteurs. Les résultats de l’étude et les perspectives cliniques qu’ils impliquent pourraient ainsi s’avérer bénéfiques pour tous. Y compris pour les femmes, chez qui ces récepteurs sont moins actifs.
Gian-Paolo Dotto insiste d’ailleurs sur l’importance de tenir compte, dans la recherche, des différences entre hommes et femmes. « La prédisposition à certains cancers varie fortement en fonction du sexe. À l’heure de la médecine personnalisée, il s’agit d’un élément essentiel à prendre en considération non seulement pour la prise en charge des patients mais aussi en matière de prévention », conclut le professeur.