L’économiste Jean-Philippe Bonardi a réalisé avec trois collègues (Rafael Lalive, Quentin Gallea et Dimitrija Kalanoski) une étude sur les impacts du confinement dans pas moins de 184 pays. Rencontre dans son bureau de doyen à la Faculté des HEC de l'UNIL.
Dès janvier 2020, plusieurs centres de recherche ont commencé à récolter des données sur un nouveau coronavirus dont alors on ne savait presque rien. Le professeur Jean-Philippe Bonardi et sa petite équipe de chercheurs – dont son collègue Rafael Lalive – ont pu s’appuyer sur ces premiers éléments lorsqu’ils ont commencé leur propre récolte de données autour du 10 mars.
Impressionnante masse d'informations
« Nous avons créé un algorithme permettant d’identifier précisément dans la presse internationale les dates des confinements et leurs caractéristiques dans 184 pays », décrit Jean-Philippe Bonardi, dont l’équipe a analysé cette impressionnante masse d’informations. Cette collecte a mis en lumière l’hétérogénéité des mesures anti-Covid adoptées à travers le monde, avec des dispositifs très stricts (par exemple en Espagne, en Italie ou en France) et des confinements partiels comme en Suisse. L’objectif de l’étude était de déterminer l’impact de ces différentes mesures sur le développement du nombre d’infections et sur la mortalité.
Combien de vies sauvées ?
Résultat principal : « Notre étude suggère que les confinements partiels ont été aussi efficaces que les confinements plus stricts, et qu’environ 650 000 vies ont été préservées dans le monde grâce à ces mesures», précise le chercheur. Une estimation claire, et nettement moins élevée que celle d’une étude antérieure de l’Imperial College, qui évaluait à plus de trois millions ce chiffre de personnes sauvées. « Ce n’est pas la même méthodologie et nous sommes confiants dans nos prédictions qui touchent un éventail de pays plus large que les autres études du même type », souligne Jean-Philippe Bonardi.
Et la Suède?
Qu’en est-il de la Suède, qui a très peu pratiqué le confinement ? « La Suède a en fait adopté un confinement partiel (en fermant notamment les écoles et les campus universitaires), mais il est vrai que les citoyens ont évité eux-mêmes les grands rassemblements et les résultats de la Suède sont au final sensiblement les mêmes que ceux des pays qui ont confiné plus ou moins radicalement », décrit le chercheur, qui estime dès lors que le confinement intégral n’est pas un outil à considérer comme plus efficace. « On peut penser que l’avenir sera plutôt aux petits confinements sectoriels, par exemple dans une ville ou même un quartier, une région en particulier et non l’ensemble d’un pays et de la société, que ce soit face à ce virus ou à d’autres qui pourraient émerger », esquisse-t-il.
Parmi les 184 systèmes observés, il souligne que les pays en voie de développement sont les seuls où il n’a pas été possible de noter un effet des confinements sur le nombre de cas et celui des décès, sans doute parce que ces mesures ont été très peu respectées par quantité de personnes obligées de travailler pour se nourrir ; en outre, le coût de leur application (policiers, soldats…) était peut-être trop élevé pour ces pays où la maladie, par ailleurs, a nettement moins circulé.
Confiner plus tôt ?
Autre phénomène : les fermetures précoces de frontières, parfois réclamées à cor et à cri, ne présentent pas d’effet significatif sur le nombre des malades et celui des morts. « Notre analyse montre un petit effet positif, mais seulement une fois que chaque État s’est emparé du problème via des mesures internes de confinement », précise Jean-Philippe Bonardi. Enfin, cette étude n’a trouvé qu’un avantage limité à un confinement précoce, lui aussi beaucoup revendiqué. Ce sont donc bien les politiques sanitaires pratiquées par les États qui ont le plus compté, et non le moment où elles ont été déclenchées.
Récemment publié dans la revue Covid-economics, spécialement dédiée aux recherches sur la pandémie en pre-print, l’article devrait paraître prochainement dans une revue internationale, souligne le professeur Bonardi.