Conçue par des scientifiques de l’Institut des humanités en médecine CHUV-UNIL, l’exposition « Malley en quartiers » s’appuie sur l’histoire des défunts abattoirs de la Ville de Lausanne pour traiter de sujets actuels comme la consommation de viande, ou l’urbanisation.
Des centaines de nouveaux habitants et d'emplois, deux tours et des places de parc pour vélos en pagaille : le quartier de Malley, à l’ouest de Lausanne, entame une profonde transformation. «Nous pouvons parler d’une forme de “sanification”», remarque l’anthropologue Salvatore Bevilacqua, chercheur à l’Institut des humanités en médecine CHUV-UNIL. En effet, même si ce coin de ville conserve encore l’image d’une friche industrielle peu attirante, aux confins des communes de Lausanne, de Renens et de Prilly, sa situation est en train de changer.
Avec ses collègues Léa Marie d'Avigneau, historienne de l'art, et Alexia Cochand, historienne de la santé (toutes deux chercheuses à l’Institut des humanités en médecine CHUV-UNIL), Salvatore Bevilacqua a mis sur pied l’exposition «Malley en quartiers», dont l’inauguration publique aura lieu du 2 au 4 octobre. Ce projet passionnant est le lauréat du concours «Patrimoine pour tous» 2018 de l'Office fédéral de la culture.
Production alimentaire
Le jeu de mots du titre de l’exposition renvoie à un passé récent : en activité de 1945 à 2002, démolis en 2014, les abattoirs de la Ville de Lausanne étaient installés dans ce quartier populaire, dont ils ont marqué la vie quotidienne, en lui procurant tout aussi bien des emplois que des nuisances. «Dans les années 60, la Gazette de Lausanne écrivait que Malley était la cité de la viande, rappelle Salvatore Bevilacqua. Avec mes collègues, sans nostalgie, nous souhaitons témoigner de ce qui fut l’un des sites de production alimentaire parmi les plus importants de Suisse romande.»
Installé à l’une des tables de la Brasserie des abattoirs, lieu emblématique du quartier, l’anthropologue désigne l’une des dernières traces tangibles de ce passé : un bas-relief sculpté par Pierre Blanc (et tagué par des inconnus), qui représente «un jeune et bel athlète maîtrisant un lourd taureau», selon les termes de la plaquette éditée à l’occasion de l’inauguration des installations, en 1945.
Bien-être animal
«Ce secteur constitue un point de jonction. Cet espace interstitiel m’intéresse beaucoup», complète l’anthropologue. La métaphore du carrefour s’applique facilement au projet «Malley en quartiers». Géographiquement, les anciens abattoirs se trouvaient loin du centre-ville et aux confins de trois communes. De plus, ces installations «étaient au croisement d’enjeux sanitaires, de l’hygiène du travail à la protection de la santé publique par leurs activités de contrôle des viandes et d’abattage “sanitaire” du bétail malade lors d’épizooties», note Salvatore Bevilacqua.
Leur destin constitue en outre un moyen de mesurer l’évolution de notre société, autour de la consommation de viande ou de produits simili-carnés. Les organisateurs de l’exposition ont ainsi saisi l’occasion de l’inauguration de l’exposition, du 2 au 4 octobre, pour se pencher sur la question de notre rapport à l’animal, de son bien-être et de sa mise à mort, notamment lors d’une table ronde le samedi 3.
L’inauguration comprend également des performances, un atelier, une exposition d’art contemporain, des projections, une conférence et des soirées festives, ainsi que des visites guidées (programme complet). Sur place, un parcours jalonné de neuf bornes interactives (et autant de thématiques) permet aux curieux de mieux se rendre compte de la manière dont un animal devient un produit de consommation. L’exposition in situ est visible librement jusqu’à la fin de l’année. Tous les événements sont gratuits et sur inscription.
Témoins du quartier
Dans le cadre d’une démarche ethnographique et collaborative, les scientifiques de l’Institut des humanités en médecine ont interrogé des personnes qui ont vécu l’époque des abattoirs de Malley. «Nous avons par exemple retrouvé des anciens employés de la chaîne d’abattage, des vétérinaires, des techniciens ou des concierges, ainsi que des habitants du quartier», explique Salvatore Bevilacqua. Des extraits des témoignages de ces personnes, sous forme d’extraits textuels ou audio, enrichissent les neuf bornes de l’exposition «physique», ainsi que le site internet de l’exposition, disponible dès le 25 septembre.
Dès l’année prochaine, Salvatore Bevilacqua souhaite explorer un nouveau champ, également d’actualité : les zoonoses, c’est à dire les maladies qui transitent des animaux aux humains. «La Covid-19 en constitue un bon exemple. De plus, de grands abattoirs industriels, aux États-Unis ou en Allemagne par exemple, ont constitué des foyers de contamination», indique Salvatore Bevilacqua. Même presque effacées, les installations de Malley continuent d’alimenter... la recherche.