Après avoir défendu une thèse sur les agences de régulation, Edoardo Guaschino, 32 ans, est docteur en science politique depuis le 19 juin dernier. Il revient avec enthousiasme sur son parcours.
«J’ai toujours eu deux passions – le sport, et l’université», confie Edoardo Guaschino. Après cinq ans de travail, son investissement dans la recherche a été consacré par la défense de sa thèse, intitulée «Regulators as agenda-setters». Et lorsqu’on lui demande de raconter son parcours, le jeune scientifique ne manque pas d’entrain, que ce soit pour expliquer son sujet de recherche ou la nature même du travail doctoral.
Le rôle des agences de régulation
«J’ai étudié comment des agences de régulation, des institutions mandatées pour faire respecter des règles, sont impliquées dans le processus de création de ces règles», résume Edoardo Guaschino. Il s’est donc intéressé à des agences comme l’Autorité Fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) ou encore la Commission de la concurrence (Comco). «Ce sont des agences publiques détachées des ministères, créées pour superviser le respect des règles.»
Une des perspectives appliquées est celle de la construction des problèmes publics. Il s’agit d’une approche fondamentale de la science politique qui s’intéresse à la façon dont certains sujets en viennent à être décrits et considérés comme des «problèmes» qu’il faut résoudre, et comment certain.e.s acteur.rice.s arrivent, grâce à certaines ressources, à faire remonter ces «problèmes» et «solutions» jusque dans l’agenda politique.
En plus d’étudier le rôle politique de telles agences, Edoardo souligne comment leur évolution témoignent de changements historiques : «Elles ont été créées dans les années 80, dans un moment de retrait de l’État, qui a délégué des compétences à ces agences.» Mais, nuance-t-il, aujourd’hui cette séparation avec les ministères et les gouvernements, qui était à la base assez nette, est de moins en moins visible et ces institutions deviennent de plus en plus incontournables dans les processus politiques.
Aussi, pour pouvoir agir et influencer les décisions politiques, ces organisations ont besoin de connaissances techniques, notamment dans les domaines qu’Edoardo a étudiés, soit la protection de l’environnement et la sécurité alimentaire. Pour ce faire, comme le montre l’un de ses résultats principaux, elles ont recours à des experts externes, venant parfois du secteur privé. Or, «les connaissances ne sont pas neutres, avertit le jeune homme. Mais les agences les considèrent comme telles. Pourtant, toute connaissance est le produit d’un cadre institutionnel et culturel.» Cela implique que dans leur travail (et leur effet sur la formulation des problèmes et des politiques publiques), les agences de régulation adoptent et promeuvent une certaine vision du monde. Par exemple, «il y a une certaine sur-technicité des dossiers, qui pourraient être abordés de manière plus large, en considérant plus d’aspects.»
« J’ai un intérêt très fort pour les méthodes en sciences sociales »
Cela transparait dans son témoignage : le tout récent docteur s’est véritablement passionné pour son enquête. Au-delà du seul sujet de thèse, c’est aussi le travail de terrain qui l’a intéressé, et les réflexions méthodologiques. «C’est une partie centrale de ma thèse : j’ai voulu utiliser des méthodes mixtes. Il ne s’agit pas seulement d’employer différentes méthodes, mais de les mettre en cohérence.» Ainsi, Edoardo a réalisé des questionnaires à destination de 36 agences des pays de l’OCDE, des entretiens, des analyses qualitatives comparatives ou encore des observations participantes. «J’ai un intérêt très fort pour les méthodes en sciences sociales, lance-t-il. Je me suis aussi amusé ! Je voulais me donner tous les moyens possibles pour donner des explications exhaustives.»
C’est également le travail à l’institut qui l’a intéressé pendant ces cinq années de travail. Que cela soit la participation aux activités ou aux échanges avec les collègues quotidiennement côtoyés. L’enseignement l’a aussi beaucoup marqué. «Ça m’a vraiment passionné, même si ce n’était pas toujours facile. J’ai appris beaucoup de choses». Ainsi, Edoardo affirme n’avoir eu aucun doute pendant la réalisation de son doctorat, malgré les moments difficiles. «Je revenais parfois sur les moments qui m’ont mené à choisir ce parcours. Cela peut arriver d’en avoir marre, de vouloir voir autre chose. Mais cette autre chose, je l’ai déjà vue», explique celui qui a voyagé et travaillé durant les deux ans qui séparent la fin de son Master, à l’Université de Neuchâtel, et le début de sa thèse à Lausanne. Il a notamment apprécié la variété, parfois sous-estimée selon-lui, du travail doctoral, tout au long de ces cinq ans.
Bien évidemment, la fin de sa thèse a été marquée par la pandémie. Si la rédaction était déjà terminée avant l’explosion des cas, sa défense devait initialement se tenir en mars. «En fin février, on a commencé à avoir un peu peur. On se demandait si ma famille serait capable d’y assister», raconte cet italien d’origine, dont la famille a été confinée dans une des zones rouges du pays de Dante. Finalement, avec son directeur de thèse, le professeur Martino Maggetti, ils ont décidé de repousser la défense de quelques mois. «Le futur était trop incertain.» Ainsi, c’est surtout d’un point de vue émotionnel qu’Edoardo exprime avoir été impacté. «Mais j’ai fait avec et n’ai pas cessé d’avancer, il faut faire avec les armes qu’on a. Un doctorant doit savoir se battre avec des conditions externes, qui peuvent être très influentes.»
Heureusement, le chercheur a pu défendre sa thèse le 19 juin dernier, sur internet, en présence de sa famille. «La pandémie a donné l’occasion de réfléchir à des lieux d’échange différents, même si rien ne remplace le face-à-face», relève-t-il. Désormais, il persévère dans le travail académique et a rejoint une équipe de travail sur la confiance dans les régimes de régulation, un projet européen coordonné au sein de l’Université de Lausanne, dirigé par les professeurs Martino Maggetti et Ioannis Papadopoulos. «C’est important de continuer avec un post-doc, estime Edoardo. Le doctorat, c’est une formation et c’est bien de profiter des compétences qu’on y a acquises.»
Guillaume Guenat