Une étude impliquant plusieurs chercheurs du Département d’écologie et évolution de l’UNIL met en évidence un phénomène surprenant chez certains crapauds d’Europe : deux espèces utilisant des mécanismes différents de détermination du sexe parviennent encore à se reproduire l’une avec l’autre. Les travaux ont été publiés le 20 août dans la revue scientifique "Evolution Letters".
Comment devient-on fille ou garçon ? Les mécanismes varient beaucoup au sein des vertébrés. Chez les humains, comme chez les autres mammifères, les mâles possèdent deux chromosomes sexuels différents, un X et un Y (alors que les femelles ont deux copies du X) ; un individu se développe donc comme femelle ou comme mâle selon qu’il a hérité un X ou un Y de son père. Chez les oiseaux, par contre, ce sont les femelles qui possèdent deux chromosomes sexuels différents, appelés W et Z (alors que les mâles ont deux copies du Z) ; un embryon devient ici femelle ou mâle selon qu’il a hérité un W ou un Z de sa mère.
Chez les amphibiens (grenouilles, crapaud, salamandres), où les mécanismes de détermination du sexe évoluent beaucoup plus rapidement que chez les oiseaux ou les mammifères, les deux cas de figure (XY et ZW) peuvent se présenter, parfois chez des espèces très proches. Un phénomène comme celui-ci a été découvert, chez deux espèces de crapauds, par une équipe incluant plusieurs chercheurs du Département d’écologie et évolution (DEE) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Les travaux, publiés le 20 août 2020 dans la revue scientifique Evolution Letters, portent sur deux amphibiens répandus en Europe : notre crapaud commun (Bufo bufo), bien présent en Suisse, et son cousin du sud de la France, le crapaud épineux (Bufo spinosus). Après la dernière glaciation, ces deux espèces ont recolonisé l’ouest du continent depuis leurs refuges glaciaires respectifs (Espagne pour B. spinosus et Europe centrale pour B. bufo), pour se rencontrer en France, de la Normandie aux Alpes. « Ces zones de contact secondaires sont une aubaine pour nous, chercheurs, car elles constituent un terrain d’expérimentation naturelle où nous pouvons étudier comment la différentiation génétique affecte le potentiel d’hybridation, un aspect clé de l’évolution des espèces », explique Christophe Dufresnes, premier auteur de l’étude et ancien doctorant au DEE, actuellement professeur à l’Université forestière de Nanjing (NJFU), en Chine.
Croisement naturel entre espèces proches
L’étude, portant sur des milliers de marqueurs génomiques, montre que le crapaud épineux présente un système XY (comme les mammifères), alors que le crapaud commun fonctionne selon un modèle ZW (comme les oiseaux). Que se passe-t-il alors lorsqu’un mâle XY rencontre une femelle ZW ? L’analyse de centaines d’échantillons prélevés entre Lausanne et Perpignan met en évidence des échanges génétiques, preuve que ces espèces peuvent encore s’accoupler. Cependant, les individus hybrides ne se retrouvent qu’à proximité immédiate de la zone de contact, aux portes de la Provence (Romans-sur-Isère). « En fait, les génomes ne se mélangent que très peu, suggérant que des incompatibilités affectent la survie et/ou la fertilité des hybrides. D’infimes traces génétiques du crapaud commun se retrouvent tout de même jusqu’aux populations montpelliéraines de crapauds épineux, laissant penser que la zone de contact était originellement plus méridionale, et serait depuis remontée vers le nord, peut-être à la faveur du réchauffement climatique », relève Christophe Dufresnes.
Les chromosomes sexuels sont souvent responsables des problèmes de survie ou de fertilité dont souffrent les hybrides chez les oiseaux et les mammifères (par exemple les mules et mulets, issus du croisement entre un âne et une jument). Qu’en est-il des amphibiens, dont les chromosomes sexuels sont beaucoup moins différenciés ? Des études à venir permettront de clarifier si les têtards hybrides souffrent de tels problèmes, et comment des croisements inattendus (un mâle XY avec une femelle ZW, ou une femelle XX avec un mâle ZZ) affectent le sexe de la progéniture. « Ces crapauds offrent ainsi une occasion unique d’étudier comment un trait aussi fondamental que la détermination du sexe peut affecter les mécanismes de formation des espèces », conclut le scientifique