Percer le mystère des fossiles énigmatiques grâce à un accélérateur de particules, c’est le pari de Pierre Guériau et Julien Alleon, deux chercheurs de l’UNIL. Le projet est soutenu par le Fonds national suisse.
Monstres à cinq yeux, carapaces, corps allongés et ondulants… Il y a 500 millions d’années, bien avant les mammouths et les dinosaures, vivaient les premières formes animales. « Leur apparence était parfois si étrange que l’observation de leur seule morphologie aujourd’hui ne permet pas aux scientifiques de les ranger dans la classification du vivant, commente Pierre Guériau », chercheur à l’Institut des sciences de la Terre de l’UNIL.
Comme l’analyse de l’ADN est impossible au-delà d’un million d’années, un grand nombre de fossiles restent dans la catégorie Problematica, dédiée aux taxons non identifiés. D’autres sont, ou ont été, mal étiquetés, à l’image de l’Anomalocaris, premier prédateur connu, qui doit son nom « étrange crevette » à la morphologie de l'un de ses organes souvent retrouvé isolé : un long appendice frontal rappelant le corps du crustacé. « Sa bouche a longtemps été prise pour une méduse et son corps pour un concombre de mer jusqu'à l'excavation d'un spécimen présentant ces différentes parties ensemble », poursuit le scientifique.
Une méthode inédite
Pour résoudre ce problème et percer les mystères de ces bêtes primitives, le paléontologue ambitionne de découvrir dans les fossiles des traces de biomolécules, ces assemblages d’atomes qui participent au métabolisme des êtres vivants, comme les glucides, les lipides et les protéines.
En collaboration avec Julien Alleon, premier assistant au sein du même institut, le chercheur a lancé en décembre une recherche soutenue par un financement Spark du Fonds national suisse, destiné aux projets non conventionnels. Le but : accéder à travers ces corpuscules à des données permettant d’identifier ces monstres énigmatiques.
« Certaines biomolécules sont résistantes dans le temps et permettent de différencier les êtres vivants. On trouve par exemple de la kératine dans la peau des vertébrés ou de la chitine dans l’exosquelette des arthropodes. Couplées à une analyse morphologique, ces informations permettraient de classifier plus précisément ces animaux », précise Pierre Guériau.
Microscope et rayons X
Afin de développer leur approche et de confronter leurs résultats aux connaissances actuelles, les postdoctorants travaillent pour l’instant avec des fossiles déjà identifiés, issus des schistes de Burgess, un gisement situé dans l’ouest du Canada. À l’aide d’un microscope électronique, ils ont repéré sur leurs spécimens les endroits à forte teneur en carbone, élément qui compose les molécules organiques en grande partie.
Leurs prélèvements seront ensuite analysés à Paris à l’aide d’une technologie de pointe, un synchrotron. Il s’agit d’un accélérateur d’électrons capable de produire un rayonnement encore plus intense que celui du Soleil.
« La technique utilisée a un fonctionnement comparable à celui d'une radiographie, explique Julien Alleon. Des rayons X sont absorbés différemment selon les types de tissus du corps humain, ce qui permet de les identifier. De même dans notre cas : la lumière spécifique produite par le synchrotron est envoyée sur des lamelles de 100 nanomètres d’épaisseur contenant des prélèvements de nos échantillons. Les variations dans sa façon de traverser la matière nous informent sur la nature des molécules. »
De l'anatomie à la chimie
Spécialiste de l’utilisation du synchrotron, Julien Alleon l’emploie de son côté pour étudier l’apparition des premières bactéries de la Terre (environ 3,5 milliards d’années) dans le cadre d’un autre projet. « Les scientifiques de mon domaine ont développé des techniques très pointues pour comprendre comment la vie a évolué au niveau chimique, car la seule analyse anatomique n’est pas suffisante à l’échelle microbienne. Nous verrons si ces outils peuvent faire également avancer la recherche en paléontologie », explique le géobiologiste.
Selon Pierre Guériau, les premiers résultats « sont très encourageants ». Les deux collègues ont jusqu’à la fin de l’année pour montrer la validité de leur méthode.