Chantal Berna Renella a récemment été nommée professeure associée à la Faculté de biologie et de médecine et responsable du Centre de médecine intégrative et complémentaire du CHUV. Portrait de cette scientifique formée à l’hypnose médicale.
Elle arrive pile à l’heure à notre lieu de rendez-vous, au Centre d’antalgie du CHUV. Son chaleureux sourire contraste avec le blanc froid de sa blouse de médecin. Généreuse et enthousiaste, Chantal Berna Renella évoque son parcours qui l’a menée à endosser la responsabilité du Centre de médecine intégrative et complémentaire (Cemic) du CHUV dès le 1er mai 2019 et à être nommée, à cette même date, professeure associée à la Faculté de biologie et de médecine.
Sa mission phare au cœur d’un agenda très rempli ? Développer la pratique, l’enseignement et la recherche de la médecine intégrative, soit le recours simultané à la médecine conventionnelle et aux médecines complémentaires comme l’acupuncture, en milieu hospitalo-universitaire. Afin, notamment, de moduler la douleur ou d'autres symptômes avec moins de prise de médicaments.
Née à Genève, celle qui se définit comme curieuse et pragmatique se souvient qu’enfant elle souhaitait exercer « un métier comportant une notion de justice et de soin des autres comme avocate ou enseignante ». À la fin de sa maturité latin-grec, elle se décide pour la médecine, attirée par les aspects sciences appliquées et relations humaines. Elle était intriguée par ce que lui racontait son grand-père psychanalyste. « Même si je ne me voyais pas pratiquer cette approche, comprendre le fonctionnement de l’humain me fascinait », relève l’antalgiste.
Au début de ses études de médecine à l’Université de Genève, Chantal Berna Renella essuie des remarques de certains camarades, qui estimaient qu’avec sa maturité classique elle n’y arriverait pas. « Au contraire, je ne me suis jamais sentie désavantagée, à part pour la physique », note cette bosseuse dotée d’une volonté sans failles. Très vite, elle nourrit une curiosité envers les médecines complémentaires. « J’étais tombée sur un livre de référence, Alternative Medicine. Il y avait un côté sulfureux et interdit de lire des choses qui ne figuraient pas dans les textes recommandés par la Faculté de médecine. »
Pour surmonter le stress inhérent à ce cursus, la jeune femme suit un cours de méditation, qui lui permet de se créer un rituel quotidien, pour prendre un peu de recul. « Ça m’a beaucoup aidée. » Une habitude de pratique régulière de techniques de relaxation qu'elle a conservée sous différentes formes jusqu'à présent, comme à travers le yoga.
Intérêt croissant pour les opérations sous hypnose
Alors assistante en médecine interne aux Hôpitaux universitaires de Genève, elle complète sa boîte à outils pour faire face à la douleur chronique de certains patients : elle se forme à la médecine psychosomatique et psychosociale, ainsi qu’en hypnose médicale, dès le début des années 2000. Cette dernière discipline fait partie des médecines complémentaires (au même titre que l’acupuncture, les massages et l’art-thérapie) que le Cemic, créé en 2015, propose notamment aux patients traités en oncologie ou souffrant de douleurs chroniques.
« L’hypnose utilise les compétences du cerveau pour moduler la perception de la douleur. Elle se base sur des éléments prouvés par les neurosciences. » Cette technique thérapeutique qui modifie l’état de conscience du patient peut être utilisée pour adoucir le vécu de gestes interventionnels, tel que rendre un changement de pansement moins pénible. « Le corps médical du CHUV est de plus en plus intéressé ! Par exemple les chirurgiens sont disposés à pratiquer des opérations sous hypnose. C'est un contraste par rapport à 10 ou 20 ans en arrière, où l'hypnose se pratiquait avec plus de discrétion et sous un regard plus méfiant de certains. Les patients sont aussi très demandeurs », souligne la chercheuse clinicienne.
Elle avoue que son défi du moment est de faire preuve de patience, « car si au Cemic nous voulons construire de nouveaux projets solides avec plusieurs services du CHUV, cela prend du temps et pour le moment nous n’avons pas les ressources pour faire face à toutes les demandes ». Objectif : trouver du personnel soignant déjà familier du milieu hospitalier et possédant une formation de base médicale et une formation avancée dans une branche de médecine complémentaire. « Cela contredit les préjugés affirmant que ce sont des thérapies avec lesquelles on peut improviser. Non. Ces formations sont exigeantes », affirme l’antalgiste, soutenue dans son activité de recherche actuelle (notamment sur l'hypnose et l'effet placebo) par une bourse de la Fondation Pierre Mercier pour la science.
Chantal Berna Renella, dans le cadre de son enseignement à l’UNIL, propose aux étudiants une réflexion sur ces médecines complémentaires. « Dans le canton de Vaud, 30% des personnes déclarent avoir eu recours à l’ostéopathie, l’homéopathie ou à une autre médecine complémentaire dans la dernière année. Un pourcentage non négligeable de patients n’informe pas son médecin traitant, ce qui peut engendrer des risques. » Elle précise que la plupart de ces thérapies possèdent une puissance propre, qu’il s’agit de mobiliser de la bonne façon.
L’hypnotiseur hypnotisé
Notre interlocutrice pratique, elle, l’hypnose depuis une vingtaine d’années et actuellement une fois par semaine avec des patients. « Lorsqu’on accompagne une personne vers cet état modifié de conscience, on est souvent soi-même en hypnose. Il s’agit d’une concentration intense, d’une hyperfocalisation, qui nous permet une grande perceptivité du patient. Ce dernier le ressent. Je peux alors avoir des intuitions sur ce qu’il vit. Les perceptions de notre corps changent : on peut se sentir très lourd ou très léger ou perdre la notion de temps », explique la professeure.
Elle confie qu’avant son premier passage en live à la radio il y a deux ans, elle se sentait très stressée. Une fois dans le studio, elle constate que ses mains sont lourdes et collées ensemble. « Je me suis mise en hypnose sans m’en rendre compte. Mon corps a fait un cheminement automatique. L’émission s’est ensuite très bien passée », sourit celle qui a effectué un doctorat au service de neurosciences psychiatriques de l’Université d’Oxford (Royaume-Uni) et qui a intégré un Fellowship au Massachusetts General Hospital à Boston en antalgie, avant d’être embauchée au CHUV en 2015.
L’interniste FMH, forte de ces deux expériences anglo-saxonnes marquées par l’interdisciplinarité, s’attelle à développer une approche holistique de la prise en charge des patients souffrant de douleurs chroniques. « Quand on a mal 24 heures sur 24 sur plusieurs années, on peut perdre son emploi, des relations, une image de soi-même. »
La responsable du Cemic tente de sortir ses patients de ce qu’elle nomme un « trou noir » qui peut mener à la dépression. « Mais d’un autre côté, la douleur constitue une présence permanente même si elle est désagréable, que le patient personnifie parfois. L’éliminer implique souvent un certain chemin, une sorte de deuil. »
Quelles sont les ressources personnelles de Chantal Berna Renella pour faire face à la souffrance quotidienne de ses patients ? « Certains jours sont plus faciles que d’autres, répond-elle pudiquement. Mais beaucoup de mes patients font preuve d'une force et d'un courage incroyables. Lorsqu’ils me disent qu’ils se sentent avancer, voire qu'ils trouvent une nouvelle manière de vivre, cela m'insuffle une énorme énergie. »
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