Une étude multicentrique menée par une équipe de l’UNIGE, des HUG, de l'UNIL, du CHUV et de l’Hôpital de Saint-Gall démontre qu’un usage plus restreint des antibiotiques ne diminue pas leur efficacité et limite l’apparition de résistances. Cette étude a été réalisée par, entre autres, Pierre-Yves Bochud, professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et médecin chef au Service des maladies infectieuses du CHUV.
L’augmentation de la résistance aux antibiotiques et le manque de nouvelles molécules constituent à l’heure actuelle un problème majeur de la santé mondiale. Dans ce contexte, la diminution de la consommation d’antibiotiques apparaît comme l’une des seules solutions pour préserver l’efficacité des produits et limiter l’apparition de résistance. Or, les traitements relativement longs sont courants même s’ils semblent tenir plus de la tradition que découler de preuves scientifiques solides. Ainsi, dans le cas des bactériémies, des infections du sang courantes mais potentiellement dangereuses, l’habitude consiste à prescrire d’office un traitement antibactérien de quatorze jours. Des médecins de l’Université de Genève (UNIGE), des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), de l’Université de Lausanne (UNIL) du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et de l’Hôpital de Saint-Gall ont voulu vérifier, dans le cadre d’une étude multicentrique sur plus de 500 personnes, si un traitement plus court, et donc moins susceptible de créer des résistances, était possible. Leurs résultats, publiés dans la revue JAMA, révèlent qu’un traitement réduit de moitié était tout aussi efficace. De plus, les scientifiques démontrent qu’adapter le régime antibiotique à chaque patient selon ses caractéristiques et ceux de la maladie permettrait de réduire encore plus la dose médicamenteuse sans perte du bénéfice thérapeutique. De ces travaux découlent de nouvelles recommandations visant à promouvoir un usage raisonné des antibiotiques, seules armes à disposition pour lutter contre des bactéries responsables de nombreuses maladies.
Les bactériémies sont des infections du sang, dont la plupart résultent d’une infection urinaire ou pulmonaire qui peuvent être dues à plusieurs types de bactéries. Très fréquentes chez les personnes âgées, elles n’en demeurent pas moins sévères et doivent être traitées efficacement pour prévenir toute évolution critique. Ainsi, la plupart des médecins prescrivent systématiquement un antibiotique pendant quatorze jours et ce, même en cas d’amélioration rapide de l’état de santé du patient.
«Nous ne disposons que d’un catalogue limité d’antibiotiques, dont l’efficacité est en constante diminution, explique Angela Huttner, chercheuse aux départements de pathologie et immunologie et de médecine de la Faculté de médecine de l’UNIGE et médecin au Service des maladies infectieuses des HUG, qui a dirigé ces travaux. Nous devons donc absolument préserver nos ressources, et cela passe par une utilisation parcimonieuse de celles-ci. Néanmoins, il nous fallait démontrer qu’un traitement plus court ne prétéritait pas le rétablissement des patients.»
En effet, depuis les années 1990, le développement de nouveaux antibiotiques a subi un net coup d’arrêt à cause du peu d’intérêt de la part de l’industrie pharmaceutique pour ces médicaments peu rentables et de l’absence de nouvelles cibles thérapeutiques.
Quatorze jours, sept jours ou moins?
L’équipe de recherche a mis sur pied une étude randomisée à large échelle, portant sur 504 patients recrutés dans trois hôpitaux suisses entre avril 2017 et mai 2019. «Nous avons divisé de manière aléatoire notre échantillon en trois groupes, détaille Werner Albrich, médecin infectiologue à l’Hôpital de Saint-Gall. Le premier groupe, le groupe contrôle, a reçu le régime habituel d’antibiotiques d’une durée de quatorze jours. Le deuxième groupe a reçu le même antibiotique mais durant sept jours seulement. Le troisième groupe a, quant à lui, vu son traitement adapté sur une base journalière selon le niveau d’inflammation de chaque patient.» Et le résultat est sans appel: le traitement a eu la même efficacité dans les trois groupes, démontrant que l’on peut recommander une diminution de moitié de la durée de traitement avec un résultat clinique identique.
Vers des traitements personnalisés
«Par ailleurs, nos travaux montrent également qu’une personnalisation du traitement selon les individus est tout à fait envisageable, ajoute Pierre-Yves Bochud, professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et médecin chef au Service des maladies infectieuses du CHUV. Il faut pour cela mesurer chaque jour le niveau de CRP – une protéine présente dans le sang marquant l’inflammation – un examen de routine réalisé de toute manière en cas de bactériémie.» Au cours de cette étude, les médecins ont en effet arrêté le traitement chez les patients assignés au 3e groupe dès que leur niveau individuel de CRP avait diminué de 75% par rapport au pic d’inflammation, après un minimum de cinq jours d’antibiotiques et avec le même succès que les deux autres groupes.
De plus, les scientifiques ont identifié certains facteurs de risque comme l’âge élevé et le pathogène impliqué. L’Escherichia coli est ainsi plus facilement éliminée que d’autres bactéries et ce, quelle que soit la durée du traitement. «Le principe du même traitement pour tous (dose unique?) est de moins en moins vrai en médecine et la caractérisation des biomarqueurs de l’inflammation pourrait aboutir à une véritable personnalisation des traitements tout en limitant le risque de résistances, concluent les auteurs. Dans un premier temps, nous pouvons déjà recommander la diminution à sept jours du traitement des infections bactériennes du sang.»