Premiers résultats d'un sondage mené par une équipe de l'IDHEAP avec le soutien de l'UNIL, LIVES et nccr-on the move
Après quelques semaines de confinement, les conséquences sociales de l’arrêt soudain d’une grande partie de l’activité économique du pays deviennent visibles. Fin avril, la Suisse a par exemple été choquée de voir des milliers de Genevois patienter pendant des heures pour recevoir de la nourriture.
Le filet social de la Suisse protège assez bien la population contre les aléas économiques, mais la crise sanitaire a amené dans le besoin des groupes qui ne sont pas ou sont peu protégés par l’Etat social et qui se trouvent être aujourd'hui les plus exposés au risque de pauvreté. Le Conseil fédéral a d’ailleurs pris des mesures pour venir en aide à une partie de ces populations.
Cette situation est totalement nouvelle, mais l’histoire de la politique sociale nous montre qu’à chaque fois qu’il a fallu aider des populations, la société se pose toujours les mêmes questions : qui doit être aidé en priorité ? Comment faut-il aider ces personnes ? Comment se protéger des profiteurs ? Les réponses que collectivement nous donnons à ces questions définissent les contours de la solidarité dont bénéfice une société.
Une équipe de l’IDHEAP, menée par Flavia Fossati et Giuliano Bonoli, a conduit un sondage auprès de 1500 personnes, représentatives de la population résidente en Suisse romande et alémanique. En général les personnes sondées sont solidaires et estiment les aides nécessaires. Lorsque l’on entre dans le détail de qui mérite d’être aidé, les résultats sont plus contrastés.
Globalement l’idée qu’il faut aider les petits indépendants fait presque l’unanimité. En effet, 98% de l’échantillon estime qu’une aide est justifiée. Par contre, les personnes interrogées sont très peu tolérantes du travail au noir. Les profils hypothétiques de travailleurs non déclarés sont systématiquement considérés comme les moins prioritaires dans l’attribution d’aides. Ni le fait d’avoir des enfants à charge, ni le fait de s’être engagé comme bénévole ne permettent de compenser la pénalité que subissent les travailleurs au noir. Autre facteur important, indépendamment de la situation professionnelle, est le fait de faire du bénévolat. On voit bien, ici, l’importance du critère « réciprocité ». Même dans une situation d’émergence inédite, la peur de « se faire avoir » par des profiteurs du système reste bien présente dans l’opinion publique.
Les facteurs qui démontrent un plus grand besoin sont aussi clairement pris en compte, c’est le fait d’avoir des enfants à charge et d’avoir un partenaire qui se trouve dans la même situation (indépendant/ sans travail). Et pour conclure, la nationalité reste un facteur qui est pris en compte pour décider de qui aider en priorité. Les Suisses d’abord, les étrangers ensuite. L’impact de la nationalité est toutefois moindre par rapport à celui des autres facteurs pris en considération, mais reste visible. Pourtant, on aurait pu imaginer que le fait d’avoir vu nombre de personnel étranger dans les hôpitaux aurait changé la perception que les Suisses ont des étrangers.
Ces premières analyses montrent donc que si les Suisses veulent bien être solidaires dans cette période exceptionnelle, ils ne sont toutefois pas prêts à baisser la garde et veulent continuer à se protéger des profiteurs potentiels ou imaginaires. Des stéréotypes anti-étrangers continuent également à jouer un rôle. Donc d’accord d’aider ceux qui ont cotisé dans le passé, mais pas les travailleurs non déclarés. D’accord de fournir des prêts avantageux aux petits indépendants, mais pas des aides à fonds perdu. Même en temps de crise la solidarité reste bien encadrée par ces limites seulement en partie rationnelles.
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