Dans quel état d'esprit Laurent Moreillon aborde-t-il la situation actuelle ? Découvrez son interview.
Cher doyen, comment allez-vous ?
Je vais bien, ainsi que mes proches, compte tenu de ce que nous vivons depuis bientôt huit semaines.
Ma vie et nos vies ont beaucoup changé avec le confinement. Nous percevons toutes et tous à quel point nous ne sommes pas vraiment grand-chose et qu’un minivirus peut dérouter toute une société comme la planète entière.
Nous vivons des moments difficiles, qu’il s’agisse de vies humaines, de l’économie, mais également de l’urgence climatique. Le confinement n’a cependant pas que des désavantages. Il nous a permis de réaliser que nous pouvions aussi, à certaines conditions, travailler à distance et donc économiser des kilomètres de transport et des heures de déplacement, ce pour une meilleure société.
Je reste inquiet au sujet du comportement déconcertant de certaines personnes, en public, comme si le problème était derrière nous. Ce que je crains c’est une seconde vague, beaucoup plus sérieuse que la première, cette première-là n’ayant peut-être été qu’un avertissement…
Quelles ont été et sont les urgences pour votre faculté ?
Dès le vendredi après-midi 13 mars 2020, nous avons compris, au Décanat, que plus rien ne serait comme avant. En premier lieu, il a fallu organiser, en toute urgence, la poursuite d’enseignements « décents » à l’égard de nos étudiantes et étudiants en Bachelor et en Master. Nous avons dû mettre sur pied quelque 200 cours pour toute la Faculté, alors que la plupart des enseignant·e·s n’étaient pas habitué·e·s à ce type de partage de connaissance avec leurs étudiantes et étudiants. Nous avons pu compter sur une brillante task force, au sein de la FDCA, qui a pu mettre sur pied les procédures et épauler des professeur·e·s parfois en déroute.
La communauté FDCA a vraiment joué le jeu, qu’il s’agisse des étudiant·e·s, des assistant·e·s, du PAT et des enseignant·e·s. Je leur en suis très reconnaissant.
Les cours à distance étant à peine mis sur pied, nous avons dû, dans l’urgence toujours, définir les modalités de la session d’examens de juin 2020. Nous avons dû prendre des décisions stratégiques concernant les années de Bachelor I et II (Droit) et Bachelor I (École des sciences criminelles) et organiser, pour le reste, des modalités d’examens à distance. Nous pensons avoir fait le maximum mais personne n’est à l’abri de risques techniques durant cette session.
Nous organisons, en outre, la préparation de la session d’août comme de la rentrée universitaire de septembre prochain. Nous devons chaque fois définir plusieurs scénarios en fonction de différentes circonstances et les adapter, au fur et à mesure des informations que nous recevons de la Direction et des autorités sanitaires et politiques. Cela demande, au Décanat et à l’équipe mise en œuvre de nos trois écoles, un investissement total et, il faut le dire, épuisant.
Dans quelles conditions, ou du moins quel état d’esprit aimeriez-vous que nous abordions le déconfinement ?
Encore une fois, les choses ne seront désormais et certainement plus jamais les mêmes. Ce qu’il s’agit absolument d’éviter c’est de retomber dans les mêmes pièges : piège pour relancer à toute vitesse et de façon bâclée l’économie, piège pour retrouver de façon imprudente des relations sociales et amicales et piège face à un optimisme exagéré. En même temps, nous devons tirer des enseignements de ce que nous vivons : même s’il s’agit encore d’améliorer la technique, les cours à distance ont en partie fait leurs preuves et, pour contrecarrer la surpopulation d’étudiant·e·s universitaires, peut-être est-ce une piste à développer ? Dans un tout autre domaine, le développement et l’utilisation du numérique montrent à quel point la société est dorénavant concernée : protection des données, contrôle des déplacements des uns et des autres, établissement de listes de personnes immunisées contre le COVID-19… Quelle société de demain allons-nous connaître, à l’aune de lois proclamant l’état sanitaire d’urgence ? Nous devons totalement repenser nos relations économiques, sociales, juridiques et politiques dans un monde de plus en plus déboussolé. Je pense que l’Université doit et va contribuer à ces réflexions.
Propos recueillis par Nadine Richon Salzmann (Unicom)