Des chercheurs du Département de biologie computationnelle de l’UNIL ont identifié, chez des microorganismes vivant aux confins de l’océan, des protéines normalement présentes chez les eucaryotes uniquement (champignons, plantes et animaux). Leurs travaux, publiés le 21 mai 2020 dans "Current Biology", éclaircissent la naissance des formes de vie complexes, comme l’être humain.
Chauve-souris, fougère, levure ou encore être humain, nous formons ensemble les eucaryotes et sommes, pour la grande majorité, composés d’une multitude de cellules. Complexes, celles-ci renferment de petites structures appelées organites, par exemple un noyau ou des mitochondries qui fournissent l’énergie nécessaire à l’activité de la cellule. Ceci nous différencie des procaryotes – bactéries et archées –, des organismes unicellulaires, beaucoup plus simples.
L’ancêtre commun à tous les eucaryotes est apparu il y a environ 1,5 milliard d’années suite à l’union entre une bactérie (alphaprotéobactérie) et une cellule hôte, proche des archées. Mais le déroulement et les mécanismes précis de ce processus sont encore peu connus. « C’est un peu le problème de la poule et l’œuf !, note Émilie Neveu, postdoctorante au Département de biologie computationnelle (DBC) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. L’un des deux organismes originels était-il déjà "compliqué" avant la symbiose, ou, au contraire, la fusion a-t-elle poussé à la complexité, propre aux eucaryotes ? » Depuis 2015, la réponse se précise en faveur de la première hypothèse.
Vingt mille lieues sous les mers
En réalisant des travaux de génomique environnementale dans la mer du Nord, à 3000 mètres de profondeur, une équipe suédoise a découvert des êtres vivants inconnus jusqu’alors : les archées d’Asgard. Des premières analyses ont montré que ces procaryotes, normalement très simples, possédaient des protéines connues exclusivement chez les eucaryotes. Dans une étude, menée entièrement au DBC et parue le 21 mai 2020 dans Current Biology, les chercheurs en ont identifié de nouvelles. Appelées protéines SNARE, elles jouent un rôle fondamental chez les eucaryotes : fusionner les membranes de deux organites et assurer ainsi le transport de protéines et de composés chimiques à l’intérieur d’une cellule.
Les archées d’Asgard, nos plus proches parents
Le groupe du Prof. Dirk Fasshauer (actuellement au DBC, anciennement au Département des neurosciences fondamentales) a utilisé une approche innovante combinant bioinformatique, phylogénétique (création d’arbres de la vie) et biochimie. La DreSc. Émilie Neveu, co-première auteure de l’étude, a scanné les bases de données compilant les séquences ADN de protéines de procaryotes : bactéries et archées. Ces deux types d’êtres vivants, dont l’aspect est similaire, se différencient par leur génétique et leur biochimie. « À notre grande surprise, environ 5000 des 500 millions de séquences passées au crible ressemblaient à des SNARE », indique la mathématicienne de formation. « Parmi elles, les seules qui se sont comportées comme des protéines SNARE, et qui ont été capables d’interagir avec leurs homologues eucaryotes, sont celles des Heimdallarchaeota, un type d’Asgard », complète Dany Khalifeh, co-premier auteur de l’étude. Doctorant au DBC, il a procédé à des analyses biochimiques pour affiner la recherche.
« Ces résultats indiquent que nous avons hérité des archées, et non des bactéries, la capacité de fusionner les membranes de nos organites et de transporter des molécules dans les cellules », souligne Émilie Neveu. Plus généralement, cette recherche montre qu’un système complexe existait déjà avant la fusion entre deux procaryotes, qui a mené à notre apparition sur Terre. Enfin, elle confirme que les archées d’Asgard, plus spécifiquement les Heimdallarchaeota, sont les plus proches parents des eucaryotes.
Une fonction énigmatique. Mais forcément utile
La présence de protéines SNARE chez des procaryotes soulève de nombreuses questions. Si le rôle de ces molécules est clairement établi chez les eucaryotes, à quoi peuvent-elles bien servir chez les archées d’Asgard qui, a priori, ne possèdent pas d’organites ? « Peut-être qu’elles sont utiles, non pas pour du transport interne, mais pour expulser des substances à l’extérieur de la cellule », suppose Émilie Neveu. À l’heure actuelle, les chercheurs ne disposent que de fragments d’ADN. Le mystère devrait se dissiper lorsque les Heimdallarchaeota pourront être cultivées en laboratoire et observées au microscope. Une certitude, selon la spécialiste : « Si les protéines SNARE de ces archées ont bravé des milliers d’années d’évolution et ont été conservées jusqu’à présent, elles endossent forcément un rôle essentiel. »