Thématique au cœur de nombreuses propositions artistiques à La Grange de Dorigny-UNIL, l’anonymat passe au microscope de Gustavo Giacosa, artiste en résidence. Une anti-conférence sera consacrée à ce thème courant 2020.
Lorsqu’Ulysse se fait capturer par le cyclope Polyphème, dans le célèbre poème l’Odyssée d’Homère, le héros grec prétend s’appeler « Personne » en réponse au géant qui l’oblige à lui indiquer son nom. Une ruse qui permet au roi d’Ithaque et à ses compagnons d’infortune de ne pas être pourchassés par les autres cyclopes une fois sortis des griffes de Polyphème.
L’anonymat, qui a permis à Ulysse de s’extraire d’une fâcheuse situation, peut en revanche aussi être une tare pour de nombreux invisibles. Celles et ceux à qui on dénie parfois un droit de parole. Quand ce n’est pas simplement une identité.
Thème des plus contemporains, l’anonymat donne lieu à plusieurs créations artistes à La Grange de Dorigny-UNIL. Ainsi qu’une réflexion de Gustavo Giacosa, artiste en résidence, avant une anti-conférence qui sera programmée au Foyer courant 2020. Interview.
Gustavo Giacosa, que signifie l’anonymat selon vous ?
C’est une condition inhérente à tout être humain. Quand nous arrivons au monde, nous ne savons pas qui nous sommes. Nous n’avons pas de nom. Il est imposé par des autres. La thématique de l’anonymat est liée à la quête identitaire que vit chaque être humain. Dans notre société contemporaine, le fait d’avoir un nom est fondamental. C’est ce qui nous définit. Sur le plan artistique, cela remonte au 18e siècle. On parle alors par exemple des Fables de La Fontaine. Avant, on ne parlait que de fables. Sans qu’elles soient attribuées à qui que ce soit. C’est un sujet qui exprime bien un ensemble de paradoxes.
On parle souvent d’enjeux autour de l’anonymat, aujourd’hui encore plus dans un monde hyper et interconnecté. Lesquels sont-ils ?
Il y en a plusieurs. L’anonymat est une condition qui permet le mieux comme le pire. Il permet par exemple une explosion créative pour des nombreux artistes qui ne se reconnaissent pas en tant que tel. Mais aussi le pire quand on pense à la violence, aux crimes. Tout le paradoxe réside en réalité dans le fait qu’il est devenu presque impossible d’être anonyme aujourd’hui à l’ère où tout doit être transparent. C’est là que tente de surgir une nouvelle forme d’anonymat, avec les hackers par exemple, qui revendiquent une liberté d’expression, de rester anonymes, de ne pas être absorbés par un type de société dans laquelle ils ne se reconnaissent pas.
Ne doit-on pas considérer que l’anonymat doit aussi connaître des limites ? Dans la mesure où, sous couvert d’anonymat justement, certains commettent des actes, souvent néfastes, qu’ils ne se permettraient pas si on connaissait leur identité.
Le but d’une rencontre avec scientifiques et artistes est de poser ces différents éléments sur la table, sans jugement. Une fois cela dit, il faut aussi souligner que l’exercice démocratique est délicat. C’est une tension entre le centre et la périphérie, entre ce qui est accepté ou ne l’est pas. Toute forme de délimitation peut aussi être perçue comme forme de limitation de l’exercice de la liberté. L’anonymat questionne aujourd’hui l’essence de nos démocraties. Nos sociétés contemporaines voient ressurgir des formes d’autoritarisme soutenues par la masse, comme nous avons déjà pu les connaître par le passé. C’est un sujet cyclique. Et il ne faut pas oublier que par anonymat, on entend aussi les « invisibles ». Ce n’est pas seulement l’individu, mais aussi la masse. Il sera donc intéressant d’entendre plusieurs voix s’exprimer autour de ce concept lors de la conférence. Le point de vue d’un sociologue, d’une philosophe, ou celui de la médecine légale. Aujourd’hui par exemple, nous sommes confrontés aux tragédies qui se déroulent en Méditerranée. Il faut pouvoir rendre leur identité aux corps retrouvés en mer. On voit donc de nouveau apparaître cette idée de paradoxe. Il y a une responsabilité éthique à rendre leur nom à certains, mais préserver l’anonymat d’autres qui préfèrent rester noyés dans la masse face à des figures totalitaires.
« Anonymes ? »
L’anti-conférence animée par Gustavo Giacosa, qui devait avoir lieu le 18 mars à 19h à La Grange de Dorigny-UNIL, est reportée en raison de l’absence de plusieurs intervenant·e·s, liée à l’évolution de la situation concernant le Covid-19. Une date ultérieure sera proposée.