La Grange de Dorigny-UNIL donne la parole mercredi 4 mars à plusieurs autrices et auteurs, le temps d’une soirée, autour de la question du statut de leur métier.
La saison 19-20 de La Grange de Dorigny-UNIL a à plusieurs reprises sollicité le talent littéraire d’écrivaines et écrivains. Autant lors de spectacles que d’écrits mis en scène, de lectures ou de performances. Raison pour laquelle elle a choisi, en collaboration avec le Centre des littératures en Suisse romande, de leur tendre le micro mercredi 4 mars, dans son Foyer, le temps d’une soirée où seront abordées toutes les facettes de l’écriture en territoire romand. Quelques pistes avec Daniele Maggetti, directeur du Centre des littératures en Suisse romande et professeur ordinaire à la Section de français de la Faculté des lettres.
Daniele Maggetti, écrire en Suisse romande relève souvent d’une activité secondaire, pas d’une profession en tant que telle. Pourquoi ?
C’est une question de marché. Il a été pendant très longtemps exceptionnel, pour un écrivain en Suisse romande, de pouvoir vivre de sa plume. La masse critique du lectorat francophone suisse n’est pas matériellement suffisante. À de rares exceptions, les écrivaines et écrivains ne pouvaient pas gagner assez par cette seule activité. L’écriture poétique ou de fiction n’a été revendiquée que récemment en tant que profession principale voire unique. Jusque-là, la plupart exerçait un autre métier, dans l’enseignement ou le journalisme par exemple.
Il semblerait que la situation soit en train de changer ou ait déjà changé. À quoi est-ce dû ?
Cette soirée consiste précisément à sonder le terrain actuel. Les choses évoluent depuis une quinzaine d’années. Ça ne veut pas dire que pléthore d’écrivaines et écrivains vivent aujourd’hui de leur plume. Mais plusieurs phénomènes tendent à montrer une sensibilité différente à ces questions. La jeune génération revendique plus explicitement son envie et son besoin d’être reconnue comme professionnelle. Elle demande donc que l’écriture soit considérée comme une activité à part entière. Cette nouvelle tendance est aussi due au fait qu’il existe désormais des formations reconnues, comme celle dispensée depuis 2006 par l’Institut littéraire suisse à Bienne, qui décerne des diplômes en écriture créative. Même si on ne peut pas dire qu’un tel certificat équivaut à une reconnaissance en tant qu’écrivain, il est un signe non indifférent de la reconnaissance d’un statut professionnel acquis dans le cadre d’un cursus officiel. L’Association des Autrices et Auteurs de Suisse a également pris position pour que les prestations de ses membres soient systématiquement rémunérées, ce qui n’était pas le cas auparavant. Jusque dans les années 1990, les contributions aux revues ou les lectures n’impliquaient pas forcément des honoraires. Par ailleurs, de nos jours, les plus jeunes mettent en place d’autres stratégies pour trouver de quoi gagner sa vie en écrivant.
Lesquelles ?
La nouvelle génération est plus proactive envers les médias, radio et presse essentiellement. Mais elle s’adresse aussi à des institutions théâtrales ou au cinéma, où elle imagine des dispositifs de l’ordre de la performance. Elle paraît désireuse de rendre plus perméable le monde culturel au sens large avec l’univers de l’écriture, qui par le passé était peut-être davantage conçu ou vécu comme une sphère presque intime, close sur elle-même. La place des réseaux sociaux, la création de collectifs contribuent également à une évolution révélatrice d’une mutation sociologique forte. Un changement qui touche les relations individuelles à la création et qui, par là, a des incidences sur le tableau global de ce qu’est aujourd’hui l’écriture en Suisse romande.
Est-ce un problème pour la littérature romande, et donc francophone uniquement, souvent moins bien considérée que celle française ?
Ce débat est presque infini. Il y a encore une différence en termes de légitimité symbolique et d’autorité entre un écrivain périphérique et un écrivain français de France. Mais cela n’a rien à voir avec une quelconque différence qualitative. Je pense que le monde littéraire romand n’a jamais eu et n’a pas les moyens matériels pour diffuser sa production et l’imposer hors de ses frontières, d’où une limitation de son rayonnement symbolique. Il n’empêche que des auteurs romands vivent de l’écriture, même s’ils n’ont pas de visibilité internationale. Quant à la différence entre francophones et Français, je ne suis pas sûr que les écrivains français d’importance moyenne puissent vivre de l’écriture uniquement, ou qu’ils soient rémunérés pour leurs prestations. Enfin, il faut rappeler qu’il serait complètement anachronique d’imaginer qu’il existe de nos jours une littérature suisse avec des caractéristiques à elle, en termes de contenus ou de style. Il est en revanche indéniable que les activités d’écriture en Suisse romande s’inscrivent dans un contexte institutionnel et économique spécifique, dont on ne peut ignorer les retombées.
Écrire en Suisse romande
Soirée en collaboration avec le Centre des littératures en Suisse romande
Avec la participation de :
Claire Genoux
Antoine Jaccoud
Bruno Pellegrino
Anne-Sophie Subilia
Marie-Jeanne Urech
Modéré par Daniele Maggetti, directeur du Centre des littératures en Suisse romande et professeur à la Section de français de la Faculté des lettres de l’UNIL
Mercredi 4 mars 2020
De 19h à 20h30
Foyer de La Grange de Dorigny-UNIL
Entrée libre