Etudes sur la capacité d’innovation des organisations publiques

Owen Boukamel mène cette recherche doctorale en administration publique au sein de l’Institut de hautes études en administration publique de la FDCA de l'Université de Lausanne.

Le secteur public est le lieu où l’idée même d’innover prend tout son sens, contrairement au stéréotype véhiculé. Mais on constate que de nombreuses spécificités du contexte public rendent tout changement, voire toute innovation, complexes à mener. Pour surmonter ces difficultés et réussir les changements envisagés, les managers politico-administratifs peuvent mobiliser différentes stratégies : créer des centres d’innovation, Think tanks et autres entités chargées de stimuler l’innovation, développer des partenariats, notamment avec les universités, ou encore sous-traiter à des sociétés de conseil. À long terme, il apparaît toutefois plus pertinent pour les organisations publiques de développer leur propre capacité d’innovation.

Owen Boukamel a mis en avant que la capacité d'innovation publique est composée de six dimensions interactives. Il s'agit de :

1.     La capacité d’apprentissage. Dans le secteur privé autant que dans le public, le pilier central de la capacité d’innovation est la capacité collective d’apprentissage et de gestion de la connaissance (Hartley et Rashman, 2018), soit l’art de gérer les connaissances formelles et informelles de l’organisation tout en capturant, partageant et orientant le savoir pour en faire un levier d’innovation. Le secteur public est composé d’une multitude d’acteurs interdépendants. Savoir recueillir les connaissances existant dans cet écosystème et apprendre des feedbacks reçus est un atout.

2.     La capacité de connexion. Les organisations publiques évoluent dans un environnement ouvert, impliquant de nombreux acteurs. Cette capacité désigne en outre l’art d’impliquer les parties prenantes multiples de l’innovation publique par le développement de réseaux internes et externes, ainsi que d’encourager les collaborateurs à tisser des liens formels et informels, entre eux et avec d’autres organisations.

3.     La capacité d’ambidextrie. Un autre grand défi concerne la difficile conciliation des besoins en ressources humaines et financières nécessaires à l’innovation avec ceux liés à leurs activités courantes de fourniture des prestations publiques (Boukamel et Emery, 2017). Cette dernière capacité est appelée l’« ambidextrie organisationnelle » (O’Reilly et Tushman, 2013). En plus d’être concurrentes en matière de ressources, ces deux activités s’appuient sur des logiques culturelles différentes: la créativité et l’idéalisme d’un côté; l’efficacité et le pragmatisme de l’autre. Pour couronner le tout, il est souvent impossible pour les organisations publiques d’interrompre leurs services pour les besoins d’une innovation en vertu du principe de continuité. L’organisation doit alors déployer des mécanismes créatifs afin de concilier ces deux mondes: par exemple libérer du temps pour que les collaborateurs puissent participer aux innovations.

4.     La capacité de gérer le risque et l’incertitude. Chaque innovation apporte des risques et de l’incertitude. Étant donné la culture du risque particulièrement peu développée dans les administrations publiques (Boukamel et Emery, 2018b), ces dernières devraient développer des mesures susceptibles de motiver les employés à proposer des idées et les soutenir, même si elles impliquent un risque (Brown et Osborne, 2013).

5.     La capacité de leadership de l’innovation. Comme condition sine qua non, une innovation doit s’appuyer sur des personnes qui persuadent et qui s’en font les ambassadeurs: cela recouvre le leadership de l’innovation. La capacité d’innovation des organisations publiques s’appuie de façon importante sur l’engagement des leaders politiques et administratifs. Ainsi, l’innovation a plus de chance de succès si ceux-ci sont capables de la soutenir auprès de l’ensemble des parties prenantes. Pour ce faire, les leaders développent un climat propice à l’innovation, c’est-à-dire basé sur la confiance, la transparence et l’optimisme (Miao et al., Newman, Schwarz, et Cooper, 2018), minimisant ainsi l’effet négatif de l’aversion au risque relevée plus haut. À noter que le leader, femme ou homme, n’est pas seulement un gestionnaire public: tout collaborateur peut être un leader d’innovation publique, c’est-à-dire un acteur du changement en portant le projet autour de lui (Meijer, 2014).

6.     La capacité technologique. La capacité d’innovation s’appuie sur des technologies sans cesse évolutives, qu’il importe d’apprivoiser en continu afin de les intégrer dans les activités courantes (Lember, Kattel et Tõnurist, 2018). Sans cette capacité collective, l’organisation ne pourra activer ce puissant levier de changement que représentent les nouvelles technologies de l’information et la communication.

Pour résumer, la capacité d’innovation des organisations publiques repose sur six composantes interactives. Cela implique des changements stratégiques, organisationnels et culturels, à tous les niveaux de la hiérarchie politique et administrative, et ce, sur le long terme.

Owen Boukamel mène cette recherche doctorale à l'IDHEAP sous la direction du Professeur Yves Emery. Elle a également fait l'objet d'un article dans The Innovation Journal que l'on peut consulter en Open Access.

Publié du 27 février 2020 au 31 mars 2020
par Faculté de droit, des sciences criminelles et d'administration publique FDCA
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