Jeux vidéo et sport électronique envahissent l’Espace Arlaud le temps des JOJ. Le musée du centre-ville de Lausanne montre le jeu en pleine création. Il favorise également l’échange et le débat, et devient ainsi un lieu original et à part entière du programme « Lausanne en jeux ! ».
Le sport électronique ne figure pas au programme officiel des compétitions. Le temps des Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ), l’Espace Arlaud – rebaptisé eSpace Arlaud – devient pourtant un lieu de réflexion sur les formes possibles de ce que David Javet, concepteur artistique de l’événement, désigne par « fair-play numérique » et définit à travers trois mots clés : performance, cocréation et décroissance. D’abord un focus sur le jeu en pratique, en démonstration. « Nous voulons nous éloigner des formes verticales de transmission pour expérimenter des modèles horizontaux de prise de parole », explique-t-il. L’idée de cocréation renvoie ensuite à la possibilité de dialogue avec un système de jeu et d’autres participants. « Il s’agit d’augmenter le nombre d’humains autour d’un écran pour favoriser l’échange, la collaboration et la confrontation bienveillante. L’accent est donc mis sur des ateliers de création communautaire, sur des discussions qui visent à produire des résultats artistiques communs. » Enfin, il est question d’un espace pensé comme un laboratoire de pratiques numériques durables et éthiques. « L’accent est mis sur des créateurs de proximité, des associations locales en possession d’un matériel technique déjà existant. Il s’agit également de réinjecter le plus possible l’humain dans le technologique, de lui redonner une place centrale au sein des dispositifs de médiation. »
Autrement dit, on va beaucoup jouer, expliquer, illustrer, échanger, s’étonner et rire sans doute autour des pratiques multiples d’une discipline qui, évidemment, ne se limite pas au sport. « Pour moi, chercheur universitaire, il s’agit d’une occasion unique d’expérimenter de nouvelles formes de médiation scientifique, de présenter la recherche dans son processus, et pas seulement à travers ses résultats », souligne David Javet (35 ans), doctorant en section d’histoire et esthétique du cinéma à l’UNIL, également cofondateur du Gamelab et lui-même concepteur de jeux vidéo. « C’est un projet qui valorise les compétences développées en milieu universitaire. » Et traduit par ailleurs une passion du jeu qu’il n’aura aucune peine à partager. Il suffit pour s’en convaincre de mesurer la verve avec laquelle il nous présente le riche menu concocté, qui occupe une place à part entière au sein de « Lausanne en jeux ! », le programme d’animations qui encourage la rencontre du sport et de la culture.
Production d’un jeu JOJ
La programmation permanente donnera à voir des jeux historiques ou créés pour l’occasion, issus d’une production internationale et locale. On se rendra d’ailleurs mieux compte de l’inventivité et de la présence remarquables des développeurs suisses sur un marché en rapide expansion. Une équipe vaudoise permettra par exemple d’assister à la production intégrale d’un jeu dédié aux JOJ Lausanne 2020. « Le projet créatif sera visible dans toutes ses étapes, indique David Javet. L’intégralité du code sera également imprimée et affichée sur les murs d’Arlaud. Le jeu est conçu avec des contraintes techniques et esthétiques spécifiques pour permettre à celui-ci d’être exploité lors d’un tournoi d’eSport durant le festival, notamment par la Swiss Made Games League, présente durant tout l’événement. » Le volet paralympique sera représenté via une courte exposition dédiée au lien entre informatique, jeu vidéo et handicap, à l’initiative du Musée Bolo (EPFL), en avant-première de sa prochaine expo temporaire.
Imaginé dans un espace confortable et accueillant, à l’image d’un salon familial, le programme éphémère (ateliers, conférences, performances) proposera pour sa part des discussions ouvertes, un véritable échange intergénérationnel en collaboration avec l’UNIL et son service Culture et médiation scientifique, sur des sujets tels que jeu vidéo et… gestion du sport, histoire du sport, existence, performance ou encore intégrité dans le sport (la liste n’est pas exhaustive). Dans un cycle de rencontres avec les développeurs, ceux-ci « nous décriront les processus artistiques qui ont conduit à la création de leurs jeux ». Au cœur de cette série, on retrouvera une question qui fait débat et concerne la nature même du joueur : qu’est-ce qu’un athlète esportif ? À travers un parcours initiatique, le public pourra découvrir l’univers du jeu compétitif : match exhibition, visionnage de vidéos d’athlètes professionnels et table ronde sont au programme.
Le jeu de rôle aura une place de choix au nombre des thématiques choisies. Comment écrire un scénario, comment penser et tester ses systèmes de jeu, que dire de la scène créative actuelle du jeu de rôle en Suisse romande ? Autant de questions auxquelles les protagonistes – parmi lesquels de nombreuses associations estudiantines – tenteront de répondre.
Réfléchir à nos pratiques
Une foule de thèmes et d’expériences promettent une rare effervescence au sein de l’eSpace Arlaud. Échanges avec des universitaires, présentations des développeurs, on trouvera également un labo de réécriture vidéo. « Un étudiant programmera devant le public l’intégralité d’un jeu vidéo simple. Et Isaac Pante (sciences du langage et de l’information à l’UNIL) commentera, expliquera et invitera les festivaliers à intervenir dans le processus en modifiant les variables pour vivre la pratique de l’équilibrage d’un jeu vidéo. »
Et parce que tout va souvent très vite dans cet univers, on pourra assister à la Hardcore Game Jam, véritable sprint créatif qui se donnera pour défi d’imaginer intégralement un jeu en 120 minutes. « Des contraintes et des thèmes peuvent être proposés par le public, qui sera également libre d’apporter son aide aux créateurs en enregistrant des sons, des musiques, ou en dessinant des éléments de jeu », précise David Javet. Sur le thème « Les jeux vidéo font société », une carte blanche sera donnée aux étudiants UNIL-EPFL pour « une soirée dédiée à réfléchir à nos pratiques numériques et aux expressions artistiques et politiques offertes par le jeu vidéo ». Il s’agit là de quelques propositions tirées d’une offre vraiment abondante, qui devrait permettre à chacun de trouver des points de convergence avec sa pratique et ses interrogations personnelles.
Vers le public
L’aspect pédagogique aura également sa place à l’eSpace Arlaud, sous forme d’ateliers proposés, sur inscription, aux classes du canton. Un programme pédagogique réalisé avec le soutien de développeurs locaux qui auront ainsi l’occasion de présenter leurs métiers aux étudiants.
Cet espace numérique dédié devrait quitter brièvement les murs d’Arlaud pour deux rendez-vous particuliers, dont la tenue restait toutefois à confirmer au moment de mettre sous presse l’uniscope : d’abord une table ronde avec pour cadre l’aula du palais de Rumine, sur le thème « Le geste sportif dans le jeu vidéo », puis un match exhibition prévu sur la place Centrale, avec notamment l’équipe du Lausanne eSports. « La performance sera accompagnée de commentateurs à qui il sera demandé de mettre l’accent sur une explication des règles, des gestes esportifs et des problématiques particulières. »
Le jeu vidéo devient ainsi prétexte à une multitude d’échanges entre spécialistes et grand public, qu’il soit déjà passionné ou encore néophyte. « C’est la concrétisation de ma participation volontaire, en tant que chercheur, aux nombreux événements de médiation scientifique que l’UNIL organise », estime David Javet avec l’enthousiasme et le tourbillon d’idées qui l’accompagnent. Qui tient encore à souligner la chance qu’il a d’avoir la confiance de Nicolas Gyger (Canton de Vaud), Fabrice Bernard (Ville de Lausanne, créateur du programme « Lausanne en jeux ! ») et Nathalie Pichard (service Culture et médiation scientifique). « Il s’agit de valoriser le travail effectué au sein de l’UNIL, sur des thématiques liées au projet, celui des JOJ en l’occurrence, indique Nathalie Pichard. La dimension numérique constitue un axe stratégique de recherche et de formation. Et l’étude du jeu vidéo représente une nouveauté dans le cadre de l’uni. »
Avec cet espace de culture numérique créé au centre-ville, l’UNIL « concrétise la volonté de la Direction de sortir des laboratoires et d’aller vers le public. »
Cet article a été publié dans l'uniscope, le magazine de l'UNIL.
Retrouvez ici le programme de « Lausanne en jeux ! ».