Les perturbations du sommeil, que ce soit en termes de quantité ou de qualité, sont très répandues dans notre société moderne. Outre leur impact immédiat sur la performance cognitive et la vigilance, elles constituent un facteur de risque important dans le développement de maladies non transmissibles telles que les troubles du métabolisme. Une étude publiée dans la revue «PNAS», réalisée conjointement par des chercheurs de l’UNIL et de l’EPFL, met en lumière les conséquences moléculaires à moyen et long terme d’une privation de sommeil. Même une fois le sommeil perdu rattrapé, notre horloge interne demeure fatiguée.
La fréquence et la durée de notre sommeil sont dictées par notre horloge métabolique interne, plus précisément par le rythme circadien qui s’étend sur un cycle de 24 heures. Des «gènes de l’horloge», clock genes en anglais, propres à chaque individu (humain, animal, plante ou même bactérie et moisissure), assurent la régularité de ce rythme. Si ces gènes sont mutés, notre horloge interne se dérègle, voire même s’arrête complètement.
La souris pour modèle
Afin de mieux comprendre les effets aux niveaux cellulaire et moléculaire d’un manque de sommeil sur l'organisme, l’équipe du Prof. Paul Franken, au Centre intégratif de génomique de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, en collaboration avec le groupe du Prof. Felix Naef, à l’Institut de bioingénierie de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL, ont étudié l'expression et la régulation au cours du temps de tous les gènes actifs dans le cerveau de la souris. Ils se sont plus spécifiquement intéressés à leur activité et à leur régulation avant, pendant et jusqu'à 48 heures après une privation de sommeil durant les six premières heures après le lever du jour, période naturelle de repos du rongeur.
A l’aide de nouveaux modèles mathématiques, les scientifiques ont pu classifier les gènes en fonction de si ces derniers présentaient une oscillation périodique sur 24 heures (circadienne) indépendante ou dépendante du rythme de sommeil et d'éveil de la souris, ou si cette alternance d'état n'avait aucune influence.
Les résultats obtenus, qui viennent de paraître dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), étaient inattendus. «À notre grande surprise, presque tous les gènes impliqués dans l'horloge circadienne moléculaire, qui aligne la physiologie de nombre d'êtres vivants sur le cycle de 24 heures, ont vu leur fluctuation diminuer en amplitude, voire presque être supprimée», commente Paul Franken, directeur de l’étude. «Fait d’autant plus intrigant que ces mêmes gènes jouent un rôle dans le développement du syndrome métabolique, caractéristique des travailleurs effectuant des horaires irréguliers (et donc ne respectant pas le moment optimal selon notre biologie pour dormir ou être éveillé) à l’origine d’une perturbation de leur rythme circadien».
Au cœur des cellules se cache une perturbation profonde
Une autre observation frappante a été faite, comme le relève la DreSc. Charlotte Hor, postdoctorante au sein du groupe du Prof. Franken et première auteure de l’article avec le DrSc. Jake Yeung, ancien doctorant chez le Prof. Naef: «les effets sur l'expression des gènes, non seulement clock mais aussi d'autres, persistent alors même que les souris ont rattrapé le sommeil perdu et ne montrent plus de différence au niveau de leur sommeil avec la période précédant la privation». En d'autres termes, sous une récupération apparente se cache une perturbation profonde et prolongée, au cœur des cellules. Ainsi, une courte période de privation de sommeil peut avoir des conséquences sur le moyen et long terme au niveau moléculaire. Même une fois le sommeil perdu rattrapé, notre horloge interne demeure fatiguée.
Un organisme rendu plus vulnérable
Si le système semble finir par retrouver son état initial – les chercheurs n’ont plus observé d’anomalies au niveau moléculaire après sept jours – il est possible que durant la période de perturbation, l’organisme soit plus vulnérable, par exemple face à une nouvelle perturbation du sommeil ou à d’autres influences de l’environnement. «Ceci pourrait à terme également augmenter les risques de maladies, entre autres liées au métabolisme, projette le Prof. Franken. En effet, parmi les gènes perturbés sur 48 heures, nous avons notamment trouvé des gènes impliqués dans la réponse au stress, à certaines hormones, aux neurotransmetteurs et aux médicaments, ainsi que des gènes actifs dans le métabolisme des graisses».