Portrait de Dina Bader, lauréate du prix Genre

Attribué pour la deuxième fois, le Prix facultaire « Genre - Égalité femmes-hommes » a été décerné à Dina Bader, Docteure ès sciences sociales de l’Université de Lausanne.

Ce Prix récompense l’excellence et la pertinence de sa thèse "Gender, Race and Nation. Femonationalism and the Problematisation of Female Circumcision and Genital Cosmetic Surgery in the Swiss Public Sphere, 1983-2015 », menée sous la direction de la Professeure Véronique Mottier (Institut des sciences sociales, UNIL), en co-direction avec la Professeure Sara Johnsdotter (Université de Malmö). 

Toutes nos félicitations pour l’obtention de votre Prix ! Qu’avez-vous éprouvé en le recevant ?

J’ai été évidemment très heureuse et honorée. Mon sujet de thèse n’a pas toujours été facile à assumer, car l’excision est un sujet qui suscite beaucoup d’émotions, même parmi les sociologues. Garder la tête froide et un esprit critique est parfois compris comme faire preuve de relativisme culturel, alors qu’évidemment ce n’est pas le cas. Je suis contre la pratique d’excision pour connaître les conséquences qu’elle a sur des membres de ma famille égyptienne. Néanmoins, j’estime qu’en tant que sociologue, je dois utiliser mes émotions vis-à-vis de l’excision comme un moteur pour mener mes recherches et non comme un frein à l’analyse critique. En recevant ce prix, j’ai donc été heureuse de savoir que mes idées et mon travail ont été reconnus par mes pairs. Je remercie ici vivement mes deux directrices de thèse qui m’ont guidé et accompagné durant mon parcours.

La problématique abordée dans votre thèse de doctorat reste encore très taboue et sensible en Suisse aujourd’hui, l’excision et la chirurgie génitale des femmes. Comment avez-vous été amenée à travailler sur cette question ?

J’ai commencé à m’intéresser à la chirurgie esthétique génitale par hasard, en faisant des recherches sur l’excision. En utilisant les mots-clés « female genital », je voulais rechercher des articles portant sur « female genital cutting » ou « female genital mutilation ». Or, je suis aussi tombée sur des articles portant sur les « female genital cosmetic surgeries » ! Honnêtement, je ne savais pas que de telles pratiques existaient. J’ai été surprise de voir que des pratiques de modifications génitales dites « cosmétiques » connaissaient un succès grandissant, également auprès des mineures, alors que depuis plus de 50 ans, on condamne l’excision. Pour moi, il y avait là un paradoxe. Ce qui m’a motivé à me lancer dans cette étude, c’est lorsque j’ai vu que la comparaison de ces deux pratiques suscitait des controverses. Si un sujet est controversé, c’est forcément sociologiquement intéressant !

Pourriez-vous nous décrire les principales conclusions de votre recherche ?

Ma thèse questionne ce que l’on définit par « mutilation » génitale féminine et pourquoi une réflexion critique globale sur les normes sociales qui, en Europe comme ailleurs, poussent les femmes et les filles mineures à subir une modification génitale est politiquement sensible. Mon analyse des débats parlementaires et des discours médiatiques suisses montre que la comparaison de la chirurgie esthétique génitale avec l’excision est controversée du fait qu’elle suscite des enjeux d’identité nationale. On ne peut accepter d’être comparé à des personnes que l’on décrit comme ayant des pratiques « barbares ». En effet, on observe que l’égalité de genre est mobilisée dans les discours publics comme une valeur nationale que les immigrés, en particulier venant d’Afrique ou de pays musulmans, doivent « apprendre » en s’intégrant. On suppose ainsi que les femmes suisses ont atteint une égalité parfaite avec les hommes, alors que la grève des femmes du 14 juin dernier montre bien que ce n’est pas le cas.

On réfute aussi la comparaison de la chirurgie avec l’excision car on pense que l’une est médicalisée et l’autre est faite de manière « barbare », que l’une est accomplie seulement sur des femmes adultes et l’autre sur des fillettes. Or, la réalité est plus complexe et nuancée. Dans certains pays, l’excision est médicalisée et la chirurgie esthétique concerne également les mineures.

Mettre en lumière ces similitudes dérange car cela amène à questionner des pratiques qui se font en Suisse en toute légalité, alors qu’elles pourraient aussi être répréhensibles selon l’art. 124 du code pénal suisse sur les mutilations génitales féminines. En effet, l’article de loi n’exclut pas de fait la chirurgie esthétique génitale, c’est l’interprétation juridique de cette loi qui le permet. Ce que l’on qualifie de « mutilation » aux organes génitaux féminins est donc clairement ethnocentré. Toute forme d’excision, même symbolique comme piquer le clitoris pour obtenir une goutte de sang est interdite, même sur les femmes adultes et consentantes, alors que la chirurgie esthétique génitale comme couper les petites lèvres (la nymphoplastie) n’est absolument pas régulée, pas même sur des filles mineures.

Ce double standard n’est pas sans effets. En infantilisant les femmes migrantes et en qualifiant l’excision avec des termes tels que « barbare », on renforce le stéréotype de migrants « arriérés » de manière générale, et sur les questions d’égalité de genre en particulier. Ce faisant, on donne l’opportunité aux partis de droite conservatrice d’instrumentaliser la cause des droits des femmes au profit de leur agenda politique anti-immigration sans que leurs propos ne paraissent xénophobes. C’est ce que décrit le concept de « fémonationalisme » de Sara Farris. De plus, la stigmatisation des migrants dessert forcément la lutte contre l’excision car le message de prévention sera alors interprété comme une forme d’impérialisme, alors que l’intention était noble au départ. Encore une fois, ma thèse ne critique pas la condamnation de l’excision mais la manière qu’on le fait.

La question de l’égalité, du genre et de la sexualité est au cœur de nombreux débats aujourd’hui. Quelle(s) thématique(s) vous semblent aujourd’hui centrales pour faire avancer l’égalité entre les femmes et les hommes ?

Il faut repenser collectivement la socialisation des enfants. Donner aux petites filles des modèles de femmes ayant fait carrière et autoriser les petits garçons à jouer avec les poupées et de porter du rose s’ils le veulent. Il ne s’agit pas d’inverser les « rôles ». Il s’agit seulement de permettre à tout individu d’être et de rêver à ce qu’il aimerait devenir, indépendamment de son genre. Je me souviens d’une image circulant sur Internet où l’on voit un petit garçon jouant à la poupée. L’inscription disait : « N’avez-vous pas peur qu’il devienne un jour… un bon père ? » Je crois que cela veut tout dire. Tant que l’on aura peur que notre enfant transgresse les normes sociales liées à son genre, on ne sera pas une société égalitaire.

Vous venez d’obtenir une bourse Early PostDoc du FNS et vous êtes maintenant à l’université de New-York. Comment envisagez-vous la suite de votre parcours académique et professionnel ?

J’aimerais poursuivre la carrière académique. Je postule actuellement à des offres d’emploi pour mon retour en Suisse dans 18 mois.

Publié du 21 novembre 2019 au 21 janvier 2020
par Communication SSP
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