La sociologue Nicky Le Feuvre abordera le thème du vieillissement au travail dans le cadre d’une conférence publique le 26 novembre prochain. Détails sur ce thème brûlant d'actualité dans l'article écrit par Noémie Matos et paru dans L'Uniscope n° 648.
Nicky Le Feuvre, professeure à l’Institut des sciences sociales, abordera le thème du vieillissement
dans le monde professionnel, lors d'une conférence à l’UNIL mardi 26 novembre. Il sera notamment question des enjeux d'égalité des genres se profilant derrière les incitations à prolonger la vie active.
«Comme l’espérance de vie croît et que le coût des systèmes de retraite augmente, il paraît légitime que les gens travaillent plus longtemps. Tel est le consensus qui se dégage actuellement au sein des grandes institutions transnationales, telles l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, et dans la plupart des gouvernements nationaux », constate Nicky Le Feuvre, professeure à la Faculté des sciences sociales et politiques. La sociologue abordera le thème du vieillissement au travail lors d’une conférence publique le mardi 26 novembre à 14h à l’Amphimax.
Lors de sa présentation, Nicky Le Feuvre, professeure rattachée au pôle national de recherche LIVES, évoquera quelques-unes des implications de l’injonction à se maintenir plus longtemps en emploi. Une thématique au coeur du projet de recherche européen, qu’elle dirige actuellement, « Dynamiques des inégalités accumulées chez les seniors en emploi » (DAISIE). Le but ? Comparer le vieillissement au travail dans cinq pays (Irlande, République tchèque, Royaume-Uni, Suède et Suisse) et trois secteurs d’activité (finance, santé et transports), « pour savoir comment l'avancée en âge est traitée au sein des entreprises et comment les personnes âgées de plus de 50 ans font face à l’intimation à travailler jusqu'à l'âge légal de la retraite, voire au-delà, dans ces contextes sociaux contrastés ».
Grands-parents mobilisés
En Suisse, 18 % de la population est âgée de plus de 65 ans et cette proportion devrait dépasser 26 % en 2045, ce qui implique un accroissement du budget des retraites. Augmenter l’âge de départ du poste de travail semble être une solution optimale. Nicky Le Feuvre réplique : « Pour caricaturer, les personnes qui réfléchissent à la réforme des retraites ont souvent un rapport vocationnel à leur emploi et sont peu usées physiquement par leur travail, ce qui n’est pas le cas de tous les seniors en emploi. Une caissière de supermarché n'envisagera pas de la même manière qu'un cadre bancaire ou qu'une infirmière le prolongement de la vie active. Il faut cesser d’avoir une vision uniforme de cette question, car les gens ne sont pas confrontés aux mêmes réalités en vieillissant. »
L’un de ces enjeux, exploré dans la recherche DAISIE, concerne la mobilisation des seniors
à l’égard des générations suivantes. Comme par exemple, en Suisse, le rôle joué par les grands-parents dans la prise en charge des petits-enfants. « Si on exige des aïeux qu’ils restent plus longtemps en emploi, comment les jeunes parents, et les femmes surtout, vont-ils pouvoir travailler davantage et plus longtemps sans disposer de solutions alternatives de garde, accessibles et abordables ? On risque d'exacerber les inégalités de genre si les jeunes mères doivent se mettre à temps partiel parce que les grands-parents ne sont plus disponibles. Comme les femmes seniors d'aujourd'hui, elles auront des retards de carrière, des cotisations tronquées et des pensions toujours aussi faibles, lance la professeure, également vice-doyenne à la relève académique et à l’égalité. Dès que l’on touche à la durée de la vie active, c’est toute l’organisation sociale qui est chamboulée. »
La sociologue explore aussi la gestion du personnel proche de l’âge de la retraite au sein des entreprises. Jusqu’à présent, ces dernières ont massivement externalisé la question. Certains employeurs ont encouragé les départs anticipés à la retraite, tandis que d'autres ont misé sur l'assurance invalidité pour pallier les effets de la fatigue et de l'usure, afin de ne pas avoir à gérer le vieillissement au travail en interne. « Or, ces différentes voies d’externalisation se rétrécissent aujourd'hui : les départs précoces à la retraite, l'aide sociale ou la réduction progressive du temps de travail sont de plus en plus pénalisants sur le plan financier et sont
donc moins envisagés comme des solutions. »
Retraitées discriminées
Quant à l'idée de réduire son taux de travail en fin de carrière, elle paraît séduisante, mais comporte aussi des écueils. « Nous avons constaté dans l’enquête EGALISE, réalisée par l’UNIL dans le cadre du Programme national de recherche 60, que paradoxalement certaines femmes devaient augmenter leur taux de travail en avançant dans l’âge, car leur deuxième pilier risquait d'être trop faible. » En cause, un emploi à temps partiel pendant de nombreuses années consacrées surtout à la vie familiale, accompagné d'un divorce en seconde partie de carrière.
« Les rentes des femmes sont inférieures de 40 % à celles des hommes, rappelle Nicky Le Feuvre. Les temps partiels et l’écart salarial hommes-femmes se répercutent surtout sur le deuxième pilier. » L’objectif des recherches de la professeure est de se focaliser sur les inégalités accumulées tout au long de la vie.
« La façon dont les gens envisagent le vieillissement au travail dépend de leurs parcours de vie antérieur, professionnel, mais aussi conjugal et familial. » Avec le projet DAISIE, la professeure espère recadrer les termes du débat autour du vieillissement en emploi, fournir des éléments de compréhension concernant les effets potentiels des mesures figurant à l’agenda politique et influencer les pratiques des employeurs.
« La retraite est le résultat de luttes historiques permettant aux individus de bénéficier d'un temps libéré du travail. Elle est un acquis social majeur et il faut être attentif à ce que cela
signifie d'y toucher », avertit la chercheuse.
Conférence : gratuite et sans inscription,
le 26 novembre de 14h à 16h,
salle 414, Amphimax