Le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel 2019, communément appelé « Prix Nobel d’économie », vient d’être décerné à Abhijit Banerjee (MIT), Esther Duflo (MIT) et Michael Kremer (Harvard), trois chercheur·e·s ayant contribué au renouvellement de l’économie du développement en s’appuyant sur des expériences randomisées. Selon les Professeurs Dominic Rohner et Mathias Thoenig de la Faculté des HEC de l’UNIL, les travaux de ces trois lauréat·e·s d’exception ont profondément marqué ce champ d’études et, plus largement, la recherche en sciences sociales.
Depuis une trentaine d’années, les sciences économiques ont connu une véritable révolution. Grâce à la profusion de grandes bases de données et d’outils informatiques de plus en plus puissants, cette discipline jusqu’alors fortement marquée par la théorie s’est transformée en une science profondément empirique, intéressée par l’identification des régularités et de leurs causes. Aujourd’hui, plus de deux tiers des articles publiés dans ce domaine s’inscrivent dans cette logique méthodologique.
L’économie du développement illustre pleinement cette évolution en s’intéressant aux questions de pauvreté et aux interventions publiques destinées à la réduire. Jusque dans les années 1990, l’intérêt des chercheurs se focalisait sur l’effet des grandes politiques de développement déployées à un niveau national ou international (investissement en infrastructure, éducation, politique industrielle, etc.). Cette approche très agrégée ne permettait néanmoins pas d’évaluer en profondeur leur efficacité pour une raison méthodologique simple mais profonde : à quelle situation de pauvreté de référence fallait-il comparer les résultats de la politique considérée ?
Désormais, les économistes évaluent les projets et les interventions à des échelles plus petites et circonscrites dans le temps et l’espace. L’objectif de cette démarche est d’évaluer rigoureusement leur impact au niveau microéconomique; les mesures jugées les plus prometteuses étant alors déployées à plus grande échelle. Par exemple, les Profs. Banerjee et Duflo ont étudié l’impact de la constructions d’écoles en Indonésie ou des quotas électoraux pour les femmes en Inde, tandis que le Prof. Kremer a analysé l’impact des projets de déparasitage dans diverses régions pauvres.
Ce type de méthodologie d’évaluation des politiques publiques est également appliqué par les enseignant·e·s-chercheur·e·s de HEC Lausanne, dans les domaines des conflits (Mathias Thoenig, Dominic Rohner, Elena Esposito), de l’économie du développement (Elena Esposito, Jürgen Maurer, Rafael Lalive) et de l’éducation (Camille Terrier). Plusieurs subsides ont d’ailleurs été obtenus pour développer la recherche dans ces domaines avec, entre autres, les subsides du European Research Council (ERC) pour les Professeurs Rohner et Thoenig, le subside Sandoz pour la Professeure Esposito, ainsi que les subsides R4D du Professeur Maurer. Les travaux des trois chercheur·e·s phares récompensé·e·s s par le prix Nobel 2019 d’économie constituent une véritable source d’inspiration pour tous ces projets. Enfin, la nobélisation d’Esther Duflo, jeune femme lauréate, s’aligne avec la politique de promotion des carrières féminines menées à l’UNIL et au sein de la faculté.
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Qu’est-ce que la méthode de randomisation ?
Cette méthode prend généralement la forme d’expérimentation « randomisée » (ou essai contrôlé aléatoire), inspirée des sciences naturelles telles que la médecine ou l’industrie pharmaceutique. Pour appliquer cette méthode en sciences économiques, un échantillon représentatif de villages ou de ménages est constitué au sein duquel une partie est au bénéfice de l’intervention (« groupe traité ») tandis que le reste ne reçoit rien (« groupe de contrôle »). Cette assignation entre les deux groupes est aléatoire (« randomisation ») et constitue un outil méthodologique crucial permettant une identification statistique claire et rigoureuse des effets de l’intervention.