Une étude réalisée au Département de physiologie de l’UNIL montre que des cellules cérébrales appelées tanycytes sont capables de contrôler le niveau de lipides dans le sang. En fonction des besoins, elles secrètent une protéine spécifique, régulant ainsi les réserves énergétiques de l’organisme. La découverte de ce mécanisme, publiée le 29 août 2019 dans « Cell Metabolism », ouvre de nouvelles voies thérapeutiques pour lutter notamment contre l’obésité et le diabète.
Les principales sources d’énergie nécessaires au fonctionnement des organes et tissus des vertébrés sont les sucres (glucose) et les graisses (principalement les acides gras, ou lipides). Ces nutriments peuvent être synthétisés par l’organisme lui-même mais sont aussi apportés par l’alimentation. Pour produire et utiliser ces carburants correctement, ainsi que maintenir son équilibre interne, le corps a mis en place des mécanismes permettant les échanges d’informations entre le cerveau (système nerveux central) et la périphérie, via le sang.
Production propre au cerveau
Dans une étude publiée le 29 août 2019 dans Cell Metabolism, l’équipe du Prof. Luc Pellerin, codirecteur du Département de physiologie (DP) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, a découvert que les tanycytes, des cellules cérébrales spécialisées, sont capables, grâce à la production d’une hormone appelée FGF21 (Fibroblast Growth Factor 21), de réguler les quantités d’acides gras circulant dans le sang.
« Jusqu’ici, il était admis que la protéine FGF21 détectée au niveau cérébral (dans l’hypothalamus) provenait vraisemblablement du foie, principal producteur de cette molécule », indique Luc Pellerin, directeur de l’étude. Grâce à des recherches menées in vitro et sur la souris, les scientifiques du DP ont prouvé qu’il existe une source de production de FGF21 localisée directement dans le cerveau : les tanycytes. Il s’agit d’une sous-population de glies (cellules du système nerveux central qui entourent les neurones) existant exclusivement dans l’hypothalamus, plus précisément autour du troisième ventricule.
Mécanisme de régulation des niveaux de graisse
En approfondissant leurs travaux, les chercheurs ont découvert que les tanycytes agissent comme des senseurs de l’état énergétique de l’organisme ; ils se tiennent constamment informés des quantités d’acides gras circulant dans le sang. « Si ces derniers sont trop abondants, ils deviennent néfastes : c’est la lipotoxicité. A terme, le foie peut par exemple présenter une accumulation excessive de lipides ou développer une résistance à l’insuline. C’est une première étape pouvant mener au diabète », explique Sarah Geller, postdoctorante et première auteure de l’étude. Pour éviter ce phénomène, lorsque les taux d’acides gras augmentent dans le sang, les tanycytes produisent et libèrent la protéine FGF21. Cette molécule agit ensuite sur des neurones qui inhibent la lipolyse : le processus qui, justement, est à l’origine de la libération (ou non) des acides gras dans le système sanguin.
Rupture de l’équilibre énergétique
Les résultats ont été obtenus grâce à des travaux sur des souris dont le gène FGF21 a été inactivé spécifiquement dans les tanycytes. Ce dérèglement a plusieurs conséquences sur les dépenses énergétiques : le tissu adipeux des rongeurs cesse d’augmenter sans qu’ils fournissent d’effort physique supplémentaire. Les déperditions d’énergie sous forme de chaleur, mesurables grâce à l’analyse de la graisse dite « brune », sont également plus importantes.
« Le mécanisme de contrôle que nous avons découvert permet, chez un individu sain, d’ajuster en permanence les taux de lipides circulants : le corps reçoit ainsi exactement la quantité d’acides gras dont il a besoin pour fonctionner. Un dérèglement de ce système pourrait contribuer au développement de certains troubles comme le diabète, l’obésité ou le syndrome métabolique, qui se manifestent par des symptômes comme une glycémie trop élevée ou une résistance à l’insuline », souligne Luc Pellerin.
Un moyen de lutter contre l’obésité et le diabète ?
Afin de comprendre les mécanismes physiologiques intrinsèques, les souris de l’étude avaient été mises à jeun et ne présentaient pas encore de pathologie particulière. Les chercheurs imaginent désormais exposer les animaux à des régimes alimentaires riches en sucres et en graisses pour mieux comprendre comment les tanycytes régulent le métabolisme des lipides à plus long terme.
En effet, la protéine FGF21 constitue à l’heure actuelle une piste pharmacologique prometteuse pour le traitement des maladies métaboliques. « Chez l’homme, des injections sous-cutanées d’un analogue du FGF21 à des personnes obèses et diabétiques sont bénéfiques », note Sarah Geller. Pour l’instant, les scientifiques ignorent l’importance, dans ces deux pathologies, du mécanisme central qu’ils ont découvert. Ils souhaitent donc désormais étudier l’effet de l’hormone FGF21 au niveau de l’hypothalamus chez les rongeurs obèses ou diabétiques. Si cet effet se révèle bénéfique, les travaux réalisés au DP permettraient d’envisager de potentielles nouvelles applications : « Au lieu d’injecter la protéine à l’intérieur de tout l’organisme, nous pourrions imaginer stimuler sa production locale directement dans les tanycytes et ainsi contrôler plus finement le métabolisme des lipides », projette Luc Pellerin.