Doctorant à l’UNIL, Kaan Mika utilise Instagram comme outil de médiation scientifique. Et ça marche : son compte, @slice_of_science, rencontre un beau succès. Rencontre avec un passionné.
Sur Instagram, on trouve des couchers de soleil sous les Tropiques, des jeunes gens à moitié nus et des people. Mais également de la science. La preuve avec Kaan Mika, doctorant dans le groupe du professeur Richard Benton, au Centre intégratif de génomique de l’UNIL. Sur ce réseau social, ce photographe amateur publie des images tirées de sa propre collection et les accompagne de versions compréhensibles d’articles parus dans des revues scientifiques. Une démarche originale qui a trouvé son public, puisque le biologiste a dépassé les 5000 abonnés.
Pourquoi vous intéressez-vous à la médiation scientifique ?
Je crois que la science est belle, mais que les gens en ont peur. Ils se disent, « Oula c’est compliqué, je ne vais pas comprendre. » Il est de notre responsabilité d’expliquer les résultats de la recherche, sans jargon. Nous avons acquis les connaissances et nous avons appris à lire les articles parus dans les revues scientifiques. Ainsi, j’essaie de simplifier ces textes parfois complexes tout en restant précis. Sur les réseaux sociaux, je vois circuler des fake news au sujet de la science. Les gens partagent ces contenus, sans indiquer ni la référence ni la source de l’information. Quand il s’agit de personnes que je connais, cela me dérange. Enfin, à titre personnel, cette activité me permet d’améliorer mes compétences en communication.
Instagram, c’est un drôle de choix pour cela ! Vous auriez pu utiliser Twitter comme d’autres chercheurs de l’UNIL...
Je suis photographe amateur et j’essaie de m’améliorer. Si j’ai choisi Instagram, c’est pour toucher un public large, au-delà de la communauté scientifique. Ce réseau social a toutefois ses limites. Je ne peux pas rédiger des textes très longs. Sur Twitter, c’est encore pire : il est nécessaire de tenir un blog en parallèle pour les contenus vers lesquels pointent les tweets.
Comment nourrissez-vous ce compte ?
Comme je suis doctorant à temps complet, je lis des articles scientifiques et je prépare des posts à côté de mon travail, que ce soit le soir ou pendant les trajets en train. Les contenus viennent de deux manières : soit je possède des photos que j’ai envie de partager, comme celles des gorilles de montagne que j’ai vus de près en Ouganda l’an dernier. Dans ce cas, je cherche ensuite un bon article scientifique qui pourrait coller à l’image...
... Vous partez également des textes.
Oui, il arrive que je lise un article scientifique passionnant. Ensuite, je choisis une image adéquate dans mes archives. Par exemple, c’est arrivé avec un texte très intéressant et récent sur les mouches drosophiles, qui sont également étudiées dans le groupe du professeur Benton. Comme je n’avais pas de bonne image sous la main, j’en ai réalisé une avec un microscope au Centre intégratif de génomique (CIG) ! Ensuite, j’ai complété avec des graphiques tirés de l’article et bien sûr le texte vulgarisé.
Vous recevez beaucoup de commentaires ! Vous faites bien mieux que le compte @unil sur ce plan.
Oui ! Certaines remarques émanent de scientifiques qui m’adressent des questions pointues. Cela m’oblige à retourner à l’article pour répondre. C’est un bon exercice ! De plus en plus de chercheurs possèdent un compte Instagram. D’autres commentaires concernent davantage les images et proviennent d’un profil profane attiré ici par le côté visuel. J’ai publié une photographie d’abeilles qui a fait un record, avec plus de 700 likes. Je ne me l’explique pas vraiment. Est-ce que les gens se sentent davantage concernés par la santé de ces insectes aujourd’hui ?
Certaines de vos images montrent la vie dans vos laboratoires
J’aime présenter mes collègues du CIG, comme par exemple récemment Stefanie Ginster (@career_conversations) qui tient un podcast à destination des scientifiques. Je sors aussi du laboratoire : la semaine prochaine, je pars à la rencontre d’une chercheuse du CHUV qui travaille avec des poissons-zèbres.
Et vous, quel est votre domaine d’étude ?
Le but de mon projet consiste à comprendre ce qui fait qu’un neurone est différent d’un autre. Le système olfactif, qui mobilise des milliers de neurones, est un bon moyen pour cela. Chaque neurone n’exprime qu’un seul récepteur spécifique à une odeur, alors qu’il en existe un grand répertoire, quand on pense à tous les parfums qu’il est possible de sentir ! Ce récepteur est donc « réglé » génétiquement pour distinguer une odeur en particulier et les autres récepteurs sont « silencieux ». Pour prendre une image, les récepteurs pour la banane et pour la pomme sont différents et ne sont jamais présents tous les deux dans le même neurone. Or, cette règle « un neurone – un récepteur » existe chez les insectes aussi bien que chez les humains. Ainsi, étudier le système olfactif des mouches drosophila melanogaster, qui se nourrissent de fruits, simplifie les recherches tout en mettant en lumière les processus biologiques à l’œuvre chez différentes espèces.
Comment les drosophiles détectent-elle les odeurs ?
Les mouches possèdent des antennes, à comparer à notre nez. Ces dernières abritent des milliers de neurones qui détectent des odeurs puis transmettent l’information au cerveau. Il peut s’agir d’une phéromone importante pour la reproduction, d’une indication sur la qualité de la nourriture (bonne ou toxique) ou encore d’un prédateur en approche, ce qui va déclencher une réaction de fuite chez l’insecte.
En quoi consistent plus spécifiquement vos expériences ?
Je travaille sur les facteurs de transcriptions. Il s’agit de protéines minuscules qui, liées à l’ADN, peuvent activer ou réprimer certains gènes. Chez les mouches, je peux réguler un facteur de transcription dans un neurone olfactif et regarder l’expression de quel récepteur en est affectée. Une procédure que j’effectue de manière systématique. Je cherche également à comprendre comment certains gènes sont « choisis » pour être en position « on » ou « off » lors des différentes étapes du développement de l’insecte.
Où en êtes-vous dans votre thèse ?
Je suis dans la quatrième année de mon doctorat. En ce moment, je prépare un article scientifique destiné à être soumis à une revue spécialisée. Dès que ce sera fait, je vais bien sûr en faire un post sur @slice_of_science ! Ensuite, ce sera le moment de rédiger ma thèse. Bien entendu, je poursuis mes expériences en parallèle : je dirais que je passe 75% de mon temps en laboratoire et le reste devant l’écran, pour analyser les résultats.