Recherche clinique: une professionnalisation nécessaire
Marc Froissart a été nommé professeur ordinaire de l’UNIL et médecin chef au CHUV le 1er décembre 2018, avec la responsabilité du Centre de recherche clinique (CRC). Déjà à la tête du CRC depuis 2015, il peut s’appuyer sur un parcours riche, «non linéaire» dans ses termes: après avoir effectué sa médecine en France, à Paris, il se spécialise en néphrologie et en médecine nucléaire, avant d’obtenir une certification en épidémiologie. Professeur associé en physiologie, il construit l’unité de médecine nucléaire du nouvel Hôpital européen Georges Pompidou, à Paris, et initie NephroTest, une cohorte multicentrique sur la maladie rénale chronique. Vient alors, en 2011, un double changement: il part pour la Suisse, où il rejoint l’industrie privée. Il restera cinq ans chez Amgen avant de rejoindre le CHUV et le CRC. Un CRC qui doit aujourd’hui aider l’institution à s’adapter aux évolutions de la recherche clinique.
Quels défis attendent la recherche clinique?
L’environnement de la recherche clinique est extrêmement complexe, à tous les niveaux, international, national et local. Il faut un peu démêler la pelote. Tout d’abord, globalement, on observe une tendance à la professionnalisation, qui tranche avec l’image dépassée, un peu naïve, d’une recherche clinique construite avec des «bouts de ficelle». On ne peut plus fonctionner comme cela aujourd’hui, on ne peut plus improviser: nous faisons face à de nouvelles obligations réglementaires, comme la LRH en Suisse (ndlr: Loi relative à la recherche sur l’être humain), aux certifications de qualité, à une gestion et une protection des données qui se complexifient de jour en jour, sans oublier l’implication grandissante de la société civile, avec en tête les associations de patients. Il y a donc un «alourdissement» des procédures qui rend très difficile aujourd’hui la conduite de la recherche clinique en dehors d’un support professionnalisé, et spécialisé.
Il y a aussi pléthore d’acteurs au niveau suisse…
Le CRC, ou «CTU Lausanne», émane d’un appel d’offre du FNS: en 2007, l’organisme a lancé ses «Clinical Trial Units», avec l’idée que chaque hôpital universitaire ait une structure similaire de support à la recherche clinique. Le réseau des CTU est chapeauté par la SCTO, pour Swiss Clinical Trial Organisation, maintenant financée conjointement par le SEFRI, le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation, et le FNS. Derrière cette organisation, il y a une volonté d’homogénéisation des pratiques et des procédures, dont l’impact déborde le seul réseau des CTU: SwissPedNet, comme son nom le suggère, complète les besoins de la recherche clinique en pédiatrie. Il est représenté à Lausanne par l’ARC, pour Antenne de recherche clinique. La différence tient à la prise en charge clinique des jeunes patients, mais les infrastructures de soutien – méthodologie, informatique, base de données, etc. – s’appuient sur le CRC. On peut encore citer, dans cette constellation, le SPHN (ndlr: Swiss Perzonalized Health Network), dont la principale mission est l’interopérabilité des systèmes de données, la SBP (ndlr: Swiss Biobanking Platform), qui se focalise sur la gestion des biobanques abritant les échantillons pour la recherche et le SAKK (ndlr: Schweizerische Arbeitsgemeinschaft für Klinische Krebsforschung), qui concerne spécifiquement la recherche contre le cancer. Les financeurs, SEFRI et FNS, affichent actuellement une volonté de coordination de l’ensemble des acteurs.
Comment cela se passe-t-il à un niveau plus «micro», au niveau d’une institution comme le CHUV?
Le message des bailleurs de fonds, tant au niveau national que local, est clair: on ne peut pas travailler de manière indépendante, il faut s’organiser, favoriser les synergies, les collaborations. Il y a surtout un besoin de coordination, et c’est ce rôle qu’est appelé à jouer le CRC: coordonner la recherche clinique, hors-oncologie puisque cette dernière est du ressort du SAKK, au sein du CHUV mais aussi de ses partenaires comme Unisanté, qui intègre désormais la PMU, l’IUMSP (ndlr: Institut universitaire de médecine sociale et préventive) et l’IST (ndlr: Institut de santé au travail). Finalement, qu’est-ce qui est commun à des groupes de recherche sur l’être humain au CHUV et à Unisanté? C’est qu’ils font de la médecine universitaire, et à ce titre il est normal que cet effort de coordination s’appuie sur la FBM, qui abrite le CRC. Notre rôle, dès lors, est d’offrir aux investigateurs une porte d’entrée unique, au mieux dès le stade initial du projet.
Quel volume cela représente-t-il?
Jusqu’ici, j’ai surtout parlé d’enjeux, de défis futurs, de musique d’avenir en somme. Mais il faut bien comprendre que le CRC, aujourd’hui, c’est d’abord la gestion au quotidien de la recherche: quelque 200 projets nous sont soumis chaque année! Ce sont des projets à géométrie variable, du petit projet d’étudiant jusqu’au gros projet international. Nous commençons bien sûr par évaluer la faisabilité de l’étude, et, hélas ou peut-être tant mieux si l’on évite des échecs, beaucoup s’arrêtent là. Nous proposons ensuite un large éventail de prestations, qui peuvent aller d’un soutien ponctuel, «à la carte», par exemple pour la statistique, un point de méthodologie, de réglementation, jusqu’à la livraison de l’étude «clé en main», allant de l’élaboration du protocole à la construction de la base de données, l’accueil des participants par des infirmières de recherche, la réalisation des analyses statistiques, etc. En 2018, 112 projets nous ont été confiés à divers titres. Relevons encore, puisqu’on parle chiffres, que sur les 540 projets soumis à la CER-VD (ndlr: Commission cantonale d’éthique de la recherche sur l’être humain) en 2018, plus de 80% provenaient du CHUV. Je précise qu’il n’y a pas d’obligation de passer par le CRC pour les investigateurs.
Mais c’est recommandé?
Evidemment, pour les raisons que j’évoquais plus haut: un contexte qui se complexifie, et qui appelle à la professionnalisation du domaine. Il y a aussi, en Suisse, des raisons structurelles, une limitation qui tient à la petite taille du pays: 8 millions d’habitants, c’est moins que la région parisienne et beaucoup moins que le grand Londres. Il faut donc composer avec ce petit bassin de recrutement, à quoi s’ajoute le morcellement de la population qu’entraîne le fédéralisme, les prérogatives cantonales. Pour ce faire, pour rester compétitifs aux yeux des bailleurs de fonds notamment, il y a deux réponses possibles: la première, ce sont de vastes études multicentriques, qui donnent tout leur sens à des réseaux comme le SCTO, mais qui induisent aussi une hausse de la complexité; la seconde, c’est d’augmenter le degré de précision de nos études, leur degré de caractérisation, de «phénotypage» pour employer notre jargon. On ne peut pas régater en termes de masse critique avec l’Europe, les Etats-Unis ou des pays émergents comme la Chine; on va donc creuser en profondeur, travailler sur la qualité des données, des échantillons, des mesures... Et ces deux réponses rendent nécessaires la professionnalisation.
Comment s’insère la problématique du consentement général dans ce schéma?
En signant un formulaire de consentement général, un patient accepte que ses données, voire ses échantillons stockés dans des biobanques, soient réutilisés, dans le futur, pour une recherche dont on ne connaît pas encore, au moment où il appose sa signature, la thématique. Ce qui nous conduit à distinguer trois types de recherche clinique: la recherche dite interventionnelle, autrement dit les essais cliniques; la recherche observationnelle prospective, qui comprend les cohortes de patients, y compris populationnelles du type de CoLaus; et enfin la recherche dite «observationnelle rétrospective», où on interroge rétrospectivement des données existantes. C’est ce dernier type de recherche qui est concerné par le consentement général, et cela pose forcément de grandes questions d’ordre juridiques, éthiques mais aussi techniques, pour la conservation des données et des échantillons. L’unité du consentement général au DFR (ndlr: Département de la formation et recherche) travaille de façon étroite avec l’institution hospitalière sur ces enjeux.
La règlementation de la recherche clinique, par ailleurs, est un peu la «spécialité» du CRC…
Chaque CTU est en charge du développement d’une plate-forme nationale dans le cadre de la SCTO. Et, en effet, Lausanne a hérité de la plateforme des affaires réglementaires; nous sommes donc l’interlocuteur au niveau national pour ces questions, ce qui nous met en lien direct avec des organisations comme swissethics et Swissmedic. C’est un élément important de la visibilité du CTU Lausanne, renforcé par la publication d’une newsletter dédiée et disponible librement sur le site de la SCTO. Et cela met en lumière toute la complexité du domaine, puisque nos partenaires sont aussi des autorités, qui «disent la loi». Là encore, le rôle de support du CRC est fondamental; il n’est en effet pas facile pour des investigateurs de frapper à la porte de ces organisations.