Des chercheurs du Département d’écologie et évolution de l’UNIL montrent que, grâce à des protéines transmises avec son sperme, le mâle influence le comportement et la physiologie de la drosophile femelle à son avantage. Dans un environnement polygame et compétitif, il maximise ainsi ses chances de devenir le père des futurs bébés.
Le sexe modifie la physiologie et le comportement des femelles dans la majorité des espèces animales. Chez la drosophile (ou mouche du vinaigre), après l’accouplement, les futures mères sont par exemple moins réceptives aux avances d’autres courtisans et renforcent leur système immunitaire. Une étude dirigée par Laurent Keller, professeur au Département d’écologie et évolution (DEE) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL montre que ce n’est pas la femelle qui change elle-même son attitude lorsqu’elle se sait accouplée. Elle est influencée par son partenaire. Ces travaux, publiés le 8 avril 2019 dans la revue PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences), ont été menés en collaboration avec Tadeusz Kawecki (DEE) et Claudia Fricke (Université de Münster, Allemagne).
Naturellement polygames
Les biologistes ont eu recours à une approche expérimentale et fait évoluer des drosophiles selon deux régimes matrimoniaux différents. Dans le premier groupe, cinq mâles et cinq femelles se sont accouplés librement. Ce mode de vie polygame, naturel chez la drosophile, crée non seulement une compétition entre mâles, mais aussi entre les deux sexes. Dans le second régime, dit « monogame », les insectes ne se sont reproduits qu’avec un seul partenaire au cours de leur existence, ce qui minimise les conflits.
Après 150 générations, soit dix ans de sélection sexuelle, les entomologistes ont comparé les mouches issues des deux régimes. Ils ont découvert que 350 gènes dans le cerveau de la femelle, et 45 dans son abdomen, sont exprimés différemment en fonction du système d’accouplement auquel elle a été confrontée : polygame ou monogame. Ces changements sont générés par des protéines que le mâle transmet avec son sperme.
Parmi les gènes affectés figure celui impliqué dans la production de l’hormone dite « juvénile », essentielle au développement et à la reproduction des insectes. « Concrètement, les mâles polygames font pondre davantage d’œufs à leur partenaire. Et plus rapidement », explique Brian Hollis, premier auteur de l’étude et désormais chercheur indépendant à l’EPFL. Les femelles concernées pondent vingt œufs supplémentaires, ce qui représente un tiers de plus que la quantité produite par les drosophiles du régime monogame.
Au détriment de ces dames
Les mouches femelles sont capables de se reproduire avec plusieurs partenaires et, comme beaucoup d’insectes, de stocker les semences dans leur spermathèque. Elles peuvent ensuite les utiliser pendant plus d’une semaine pour fertiliser leurs œufs. « Pour maximiser les chances qu’il soit effectivement le père des bébés à venir, le premier mâle avec qui la femelle s’accouple a intérêt à faire tout son possible pour ce que celle-ci ponde un maximum d’œufs le plus vite possible et qu’elle évite de se reproduire avec d’autres », note Laurent Keller. « Or ceci se fait au détriment de la femelle, qui pourrait avoir avantage à épargner ses forces ou étaler sa reproduction sur un laps de temps plus long », complète Brian Hollis. L’étude montre que les femelles se reproduisant avec des mâles polygames ont deux fois plus de risques de mourir dans les heures qui suivent l’accouplement.