A l’heure où le changement climatique se fait sentir, où la population mondiale ne cesse de croître et où la majorité des terres arables sont exploitées, l’agriculture est contrainte de se tourner peu à peu vers des sols plus arides et moins propices à la culture. L’émergence d’alternatives passe par une meilleure compréhension de la relation entre plante et environnement, comme le démontre l’étude publiée dans la revue «Cell» le 14 février 2019 par Christiane Nawrath au Département de biologie moléculaire végétale de l’UNIL.
Généralement incapables de se déplacer, les plantes ont, au fil de l’évolution, développé différentes stratégies pour faire face aux nombreuses agressions que recèle leur environnement, telles que la sécheresse, les substances toxiques et les pathogènes. Tout en cherchant à s’isoler, elles doivent toutefois assurer leur approvisionnement en eau et nutriments, ce qui implique une certaine perméabilité de la paroi cellulaire, notamment au niveau de leurs racines.
Un délicat équilibre entre protection et perméabilité
Depuis le début du XIXe siècle, de nombreuses recherches ont été effectuées sur la cuticule, une structure lipidique qui recouvre l'épiderme des parties aériennes de la plante, autrement dit les feuilles, la tige, les fleurs et les fruits. Par ses propriétés hydrophobes, cette fine pellicule non seulement limite la diffusion d'eau, évitant ainsi à la plante de se déshydrater par transpiration, mais protège également cette dernière des attaques microbiennes. A l’inverse, les racines ayant pour rôle premier de puiser l’eau et les nutriments dans le sol, elles se doivent, a priori, d’être perméables. L’absence d’une cuticule couvrant la racine n’a de ce fait jamais été remise en question dans la littérature.
Une théorie bousculée
Une certitude que vient bousculer l’étude menée sur la plante modèle Arabidopsis thaliana (l’Arabette des dames) par l’équipe de Christiane Nawrath, maître d’enseignement et de recherche au Département de biologie moléculaire végétale de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. «Contre toute attente, nos recherches ont conduit à la découverte d’une cuticule présente sur la coiffe, soit à l’extrémité de la racine», relate la biologiste qui a dirigé les travaux publiés dans la revue Cell. Présente sous la forme d’une cuticule embryonnaire dès le plus jeune stade de développement de l’embryon, la cuticule protège la racine à son émergence de la graine. «La sortie de la graine, qui constitue un environnement protecteur, est un moment critique pour la survie de la plante, soudain confrontée à de nouvelles conditions environnementales», poursuit Christiane Nawrath. «Notre découverte contredit les théories fondamentales de la biologie végétale qui affirment que la cuticule est exclusivement spécifique à l'épiderme des parties aériennes de la plante.»
Les scientifiques ont découvert que la cuticule est également présente sur la coiffe des racines latérales, depuis leur formation dans la racine principale et au cours de leur émergence. La malformation des racines latérales émergentes en cas d’absence de cuticule a permis de mettre en évidence les propriétés lubrifiantes essentielles de cette membrane.
La cuticule varie dans sa composition, son architecture et ses propriétés en fonction de l’espèce, de l’organe, de son stade de développement et de son environnement. En plus de ses propriétés protectrices et lubrifiantes, elle revêt d’autres fonctions, empêchant notamment l’adhésion et la fusion des organes entre eux.
Des recherches potentiellement utiles à l’agriculture
Les travaux de l’équipe lausannoise ouvrent de nouvelles perspectives en termes d’agriculture et d’adaptation possible à des conditions de culture plus rudes. L’élaboration d’alternatives passe en effet par une compréhension plus approfondie de la façon dont les végétaux s’isolent de leur environnement pour se protéger de la sécheresse, des substances toxiques et des pathogènes.
«Alors que la germination et la croissance constituent des étapes-clés dans le développement de la jeune plante, elles n’ont jusqu’à présent été que peu étudiées et demeurent mal comprises», déplore Christiane Nawrath. D’où l’importance de l’étude menée par son équipe : la mise en évidence d’une cuticule racinaire permet de mieux appréhender comment la plante se protège de son environnement extérieur au stade le plus vulnérable de sa vie et parvient à réagir de façon contrôlée. «Même si cette avancée n'offre guère d’applications per se dans le domaine agricole, elle contribue à une meilleure compréhension de l’anatomie, du développement et de la physiologie de la racine. Des éléments qui pourraient mener à d'autres découvertes importantes pour l'agriculture, liées notamment à la sensibilité des plantes aux pathogènes ou aux stress abiotiques durant les premiers jours de leur vie», conclut Christiane Nawrath.