Appel à contribution pour le numéro 39/2 (2020) de NQF
Coordination du numéro: Véronique Boillet, Nolwenn Bühler, Irène-Lucile Hertzog, Marta Roca i Escoda
Délai de soumission des propositions: 1er avril 2019
Si la procréation médicalement assistée promet ce qui n’a pas de prix – la «vie» –, elle s’insère également dans un marché global qui repose sur le travail de nombreux acteur·e·s: femmes et hommes dans un projet d’enfant, fournisseurs et fournisseuses de gamètes (providers), médecins, technicien·ne·s de laboratoire, autres agences servant d’intermédiaires – des acteur·e·s dont les contributions ne sont pas toutes reconnues et vues de la même manière. Il a notamment été montré que le travail procréatif des femmes dans ce marché est effectué gratuitement au nom de l’amour, du care ou des sentiments, restant ainsi pensé sur le mode de la naturalité. De ce fait, il est rendu invisible et dévalué socialement. De surcroît, le système de genre sur lequel repose la médecine procréative entérine la division sexuée du travail et tend à considérer comme «naturelle» la mise à disposition du corps des patientes.
Ce marché est traversé et organisé par différents types d’économies: financière, morale, biologique et affective. Il sert également d’espace où sont produits, circulent et s’articulent différents types de savoirs et expertises. Sur quelles forces de travail repose chaque économie? Quelles activités sont reconnues et rendues visibles comme un travail? Quels biens sont produits et comment circulent-ils? Comment acquièrent-ils de la valeur? Dans chaque économie les forces de travail, les modalités d’échange, les biens ou valeurs produites varient. En effet, si le marché est orienté vers la production d’enfants, d’autres «biens» qui résultent également d’un travail important sont produits, tels que le prestige, l’argent, le savoir, de nouvelles relations et responsabilités.
En proposant d’étudier la reproduction comme un marché organisé par différents types d’économies, nous aimerions mettre en lumière les processus matériels et symboliques qui contribuent à produire et reproduire d’anciennes et nouvelles formes d’inégalités. Quels sont les processus d’occultation, de différenciation et de hiérarchisation à l’œuvre dans le marché global de la reproduction? Quelles formes de division du travail – sexuée, racialisée, classée, ou autre – peut-on observer? Comment s’articulent-elles entre elles? Quels sont les droits et les obligations des différents acteur·e·s?
En d’autres termes, ce dossier a pour objectif d’explorer ces questions en mettant en lumière les processus matériels et symboliques, locaux et situés, qui mènent à masquer et inférioriser certains acteur·e·s impliqué·e·s dans la production d’enfants, ainsi qu’à attribuer des valeurs différenciées aux produits du travail. Il vise aussi à éclairer le rôle du cadre légal de ces économies et à montrer comment il participe à stratifier la reproduction, ou, autrement dit, à (ré)établir des rapports asymétriques entre les personnes participant à ce processus.
Axes du dossier:
1. Les forces de travail à l’œuvre
Dans la lignée du féminisme matérialiste, la notion de travail procréatif permet de mettre l’accent non seulement sur la fonction sociale des procréatrices, mais aussi sur le fait que la production d’enfants, comme toute production, «nécessite un investissement en travail, en temps et en savoir-faire» (Praz, Modak et Messant, 2011, NQF 30/1 «La production d’enfants»).
Ce premier axe vise à questionner le travail corporel des femmes jusqu’alors impensé dans le processus de procréation médicalement assistée, que cela soit en termes de charge physique et mentale, de travail de santé ou de travail émotionnel. Cet axe entend également réfléchir aux forces de travail à l’œuvre derrière la production d’enfants. Qui contribue à produire des enfants? Quel type d’activité est conçu comme un travail? Comment les personnes engagées dans ce processus sont-elles reconnues? Dans quelle division du travail sexuée, classée, racialisée, s’inscrivent-elles? Qui bénéficie personnellement du fruit de son travail et qui s’en voit déposséder?
2. Les produits et leurs valeurs
Le deuxième axe se focalise sur les produits eux-mêmes – savoirs, relations, prestige, argent, enfant, responsabilités – et sur les logiques au travers desquelles ils se voient attribuer une certaine valeur financière ou symbolique. En d’autres termes, il s’agit d’examiner les processus différenciés d’attribution de valeur aux produits du travail réalisé dans le cadre de la procréation médicalement assistée et à la manière dont ces valeurs varient selon les contextes et les situations dans cette chaîne de travail procréatif mondiale. Quelle est la reconnaissance et la valeur du travail reproductif? Peut-il être question de le monétariser et comment? S’il s’agit de mettre en lumière les processus de (non)-valorisation du travail procréatif effectué par les femmes, il s’agit également de les éclairer en élargissant le regard et en prenant en compte les autres acteur·e·s et types de produits impliqués.
3. La régulation légale des économies
Le troisième axe porte sur l’encadrement légal de ces économies. Comment le cadre légal contribue-t-il à reconnaître et valoriser le travail de certains acteur·e·s, au détriment d’autres? En quoi définit-il le type de valeur qui peut être produit? En quoi contribue-t-il à la reproduction des asymétries ou permet-il, au contraire, de lutter contre certaines formes de discrimination? La régulation de la procréation médicalement assistée et des liens de filiation qui s’en suivent soulève en effet de nombreuses questions en termes de symétrie et d’asymétrie. En définissant les donneurs et les donneuses (autrement dit, les personnes qui fournissent des gamètes), en déterminant les conditions auxquelles le recours à un don est autorisé, voire remboursé, ou en réglementant les conditions d’accès à la procréation médicalement assistée et les conséquences qui en découlent, le législateur est contraint de développer des critères qui peuvent parfois être jugés discriminants.
Les propositions d’articles de deux pages sont attendues pour le 1er avril 2019 en format Word, envoyées par mail à Marta Roca i Escoda (Marta.RocaEscoda@unil.ch) et Véronique Boillet (Veronique.Boillet@unil.ch). La 1ère version des articles retenus devra être soumise à la rédaction de NQF d’ici le 1er novembre 2019. Le numéro sortira en automne 2020.