Malgré une croyance répandue, moins de 2% des loups détectés par l’UNIL dans les Alpes suisses au cours des vingt dernières années sont issus d'hybridations avec leurs cousins, les chiens. L’intégrité génétique des loups est donc restée intacte lors de la recolonisation des Alpes. Cette analyse du Laboratoire de biologie de la conservation au Département d'écologie et évolution a été publiée dans "Scientific Reports" le 16 janvier 2019 et vient clarifier le sensible débat relatif au retour et à la conservation de cet animal emblématique.
Même si, à la vue d’un caniche ou d’un Yorkshire, le constat semble saugrenu, les chiens sont des loups sauvages que l’Homme a domestiqués il y a 10'000 à 30'000 ans. Ces animaux appartiennent à la même espèce (Canis lupus) au sein de la famille des canidés et sont issus d’un même ancêtre commun. Tout au long de leur histoire, ils se sont ainsi parfois croisés et continuent à la faire, donnant naissance à des descendants fertiles.
Chien-loup, un vrai faux débat
Eradiqué des Alpes à la fin du XIXe siècle, le loup y est réapparu naturellement au milieu des années 90 en provenance de la chaîne montagneuse des Apennins, en Italie. Aujourd’hui, la question du métissage, pourtant naturel, entre loup et chien fait l’objet de vives polémiques et constitue un enjeu important des débats liés à la politique de conservation du loup. « Elle est utilisée par certains comme argument pour autoriser l’élimination des animaux. Le loup est en effet strictement protégé mais un flou juridique existe autour des spécimens hybrides. De manière générale, les législations nationales recommandent leur suppression pour préserver l’intégrité des populations sauvages. Or la vraie question devrait plutôt être celle du contrôle de la présence de chiens errants transmettant leurs gènes aux loups sauvage », explique Luca Fumagalli, maître d’enseignement et de recherche et privat-docent au Département d’écologie et évolution de l’UNIL (DEE) et au Centre universitaire romand de médecine légale.
Mesurer l’étendue des croisements
Dans une étude parue le 16 janvier dernier dans la revue Scientific Reports, son équipe du Laboratoire de biologie de la conservation (LBC) a quantifié l’étendue de ce métissage. Une première en Suisse et dans les Alpes. Les chercheurs de cette unité spécialisée du DEE, à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, ont ainsi révélé que seuls 2 des 115 loups qu’ils ont détectés par le biais d'analyses génétiques dans les Alpes suisses entre 1998 et 2017 montrent des signes de croisement avec des chiens au cours de générations passées.
Mandaté par l’Office fédéral de l’environnement depuis vingt ans, le LBC réalise des analyses génétiques non invasives à partir, par exemple, de salive, de crottes ou de poils. Sur un total de 3463 échantillons reçus régulièrement depuis 1998, 1645 ont été assignés à un total de 115 loups distincts. Dans le cadre de leur étude, les biologistes de l’UNIL ont rouvert leurs congélateurs afin d’analyser à nouveau cet ADN, à la recherche de traces d’hybridation.
Une affaire de probabilités
« Il n’existe aucun critère morphologique diagnostique permettant de distinguer de façon fiable un loup d’un chien, et même les approches génétiques, infiniment plus puissantes, ne sont pas absolues. En effet, l’ADN des loups et des chiens est pratiquement identique et il n'existe pas de gènes exclusifs à l'un ou l'autre des deux animaux », explique Luca Fumagalli. « La seule analyse qui puisse être effectuée est le calcul du pourcentage de chances qu’un individu appartienne à l’un des deux groupes », complète Christophe Dufresnes, collaborateur au LBC et premier auteur de la publication. C’est exactement de cette manière que les biologistes ont procédé dans le cadre de leurs travaux. « Il s’agit de l'approche validée par la communauté scientifique internationale à l'heure actuelle pour étudier ce genre de problématique », indique Luca Fumagalli.
L’équipe a donc comparé l’ADN des 115 loups, tous considérés comme potentiellement hybrides, à un groupe de référence de 70 chiens. Sur la base de simulations mathématiques et de modèles statistiques complexes, ils ont établi un seuil au-dessous duquel un loup n’est plus considéré comme « pur ». « Seuls 2 animaux sur 115 sont concernés, soit moins de 2% », relève Luca Fumagalli. La majorité des recherches menées ailleurs en Europe, notamment en Italie et en Espagne, fournissent des résultats similaires.
Hybridation anecdotique
Des analyses complémentaires montrent que les deux hybrides (un mâle et une femelle) sont très certainement le fruit d’un rétrocroisement. Autrement dit, un de leurs deux parents était un loup et l’autre un croisement ou un descendant d'un croisement entre une femelle loup et un mâle chien. L’hybridation a donc eu lieu deux ou trois générations en arrière. L’étude souligne que, fin 2017, les deux animaux avaient quitté la Suisse et qu’aucun membre des trois meutes connues sur le territoire ne présente de signe de croisement avec des chiens.
« Nos résultats prouvent que l’hybridation chien-loup est en réalité très limitée, voire anecdotique, et que l’intégrité génétique des populations de loups sauvages vivant dans les Alpes est préservée. Ils devraient apaiser les débats et faciliter la conservation de l’espèce », analyse Luca Fumagalli. Selon lui, un suivi génétique en temps réel reste nécessaire pour identifier les potentiels individus hybrides et permettre ainsi une gestion efficace des populations de loups emblématiques de nos montagnes.