Certaines nuits, un bruit de moteur réveille, d’autres pas. Certains individus marchent en dormant tandis que d’autres bougent à peine dans leur lit. Dans une étude parue le 25 décembre 2018 dans la revue en ligne "eLIFe", des chercheurs du Département des neurosciences fondamentales de l’UNIL ont montré que le sommeil est un phénomène local en grande partie géré dans une structure spécifique du cerveau : le thalamus.
Tandis que nous sombrons dans les bras de Morphée, certaines aires de notre cerveau peuvent être plus ou moins endormies, ou, du moins, dormir différemment. Pour preuve, certains stimuli sensoriels, comme des cris de bébé ou une alarme, nous réveillent. D’autres pas. Ainsi, les rythmes cérébraux – des oscillations résultant de l’activité électrique des neurones et visibles sur un électroencéphalogramme – varient d’une région du cerveau à une autre. Plus qu’un simple état physiologique global, durant lequel nous perdons une grande partie de notre conscience du monde extérieur, le sommeil semble donc avoir des propriétés régionales très spécifiques.
C’est précisément sur le sommeil dit « local » que travaille l’équipe d’Anita Lüthi, professeure associée au Département des neurosciences fondamentales (DNF) de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Dans un article paru le 25 décembre dernier dans la revue scientifique en ligne eLIFE, les neurobiologistes se sont intéressés au noyau réticulaire du thalamus et ont montré que cette structure, très profonde dans le cerveau, fait office de chef d’orchestre du sommeil local.
Le thalamus décide, le cortex suit
« Nous savions que les oscillations électriques mesurées dans le cortex (la surface du cerveau) voyageaient sur des réseaux, autrement dit des boucles de neurones, reliés au noyau réticulaire thalamique, explique Laura Fernandez, postdoctorante au DNF et première auteure de l’étude. Jusqu’à présent, il était admis que ce dernier, à l’image d’un pacemaker, générait des rythmes cérébraux de manière uniforme. Ces oscillations arrivaient au cortex qui semblait responsable des propriétés locales du sommeil. »
Or les recherches menées au DNF montrent une réalité bien plus complexe. L’anatomie et le fonctionnement cellulaire du noyau réticulaire s’avèrent très hétérogènes. Ainsi, les cellules neuronales reliées au cortex somatosensoriel (aires cérébrales traitant des informations provenant du toucher) ne sont pas les mêmes que celles interagissant avec les cortex visuel ou auditif.
« Les neurones qui composent ce noyau sont organisés et regroupés en secteurs spécifiques pour chacun des sens (comme la vue, l’ouïe ou le toucher), mais aussi plus généralement pour d’autres fonctions, comme la motricité, ou les émotions (système limbique). Chaque secteur du noyau réticulaire du thalamus a une activité spécifique, ce qui permet de générer des oscillations du sommeil différentes les unes des autres pour chaque grande fonction cérébrale, et donc un sommeil non homogène », souligne Laura Fernandez.
Modifier le sommeil
Grâce à des techniques génétiques ciblées sur le cerveau des souris, l’équipe d’Anita Lüthi a réussi à moduler le fonctionnement du noyau réticulaire thalamique et donc la manière dont les rongeurs dorment. En désactivant certaines cellules, les neurobiologistes ont notamment constaté que le sommeil des animaux dans certaines aires sensorielles était moins riche en fuseaux, des oscillations importantes pour la consolidation de la mémoire. Du point de vue clinique, les fuseaux pourraient-ils être augmentés et permettre d’apprendre plus efficacement ? Ou même, pourquoi pas, de se rétablir plus rapidement d’une lésion cérébrale ? Une hypothèse plausible, selon Anita Lüthi et Laura Fernandez.
« Considérer et étudier le sommeil comme quelque chose de parcellisé est un phénomène nouveau, relève Anita Lüthi. Nos résultats montrent que les rythmes du sommeil peuvent être modifiés, supprimés ou restaurés localement. Cet aspect est très intéressant du point de vue clinique, puisque nombre de troubles du sommeil sont dus à des perturbations locales. »
L’étude des mécanismes cellulaires qui sous-tendent les sommeils locaux ouvre ainsi la voie vers une meilleure compréhension de certains phénomènes comme le somnambulisme. Même si, dans l’ensemble, la personne dort, certaines aires cérébrales sont en éveil, ce qui lui permet de marcher. « Peut-être qu’une explication serait à chercher du côté du noyau réticulaire du thalamus », projette Anita Lüthi.