La votation fédérale du 25 novembre prochain pourrait avoir des implications importantes sur la relation de la Suisse à l’Europe et donc également sur les universités suisses. Elles ont décidé de se positionner sur cet aspect du débat par le biais de swissuniversities. Quatre questions à la Rectrice Nouria Hernandez.
Pourquoi les instances académiques suisses et vous-même avez-vous décidé de prendre position dans ce débat ?
Nouria Hernandez: Il est de la responsabilité des Hautes Ecoles de s’exprimer, se positionner et expliquer ce qui concerne leur fonctionnement et leur avenir. Nous devons défendre notre place scientifique suisse si performante, qui est un moteur pour la prospérité de la Suisse. Je pense que nous avons tiré les leçons de la votation sur l’immigration de masse de 2014. Jusqu’alors, le milieu académique jugeait qu’il ne lui appartenait pas de s’exprimer dans le contexte politique, même dans les cas où il était directement concerné. Il s’était donc abstenu en 2014 et il en subit encore aujourd’hui les conséquences.
Mais en quoi une initiative intitulée « Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l’autodétermination) » aurait-elle un impact sur la recherche scientifique ?
Les Hautes Ecoles n’ont d’existence et d’avenir que dans le cadre d’une large coopération avec la science internationale, à commencer par la science européenne. Or l’initiative en cours pourrait remettre en cause les relations de la Suisse avec l’Union Européenne, qui sont déjà dans une phase difficile.
Nous sommes dans un cas de figure qui me fait penser au vote de 2014, qui nous a ensuite exclu pour deux ans du programme de recherche de l’Union Européenne, Horizon 2020. Cette période d’exclusion a eu pour conséquence une baisse significative de la participation suisse aux programmes de recherche et une diminution des contributions financières pour les partenaires de projet en Suisse. Un bilan récent du secrétariat d’Etat à la formation à la recherche et à l’innovation, le démontre, chiffres à l’appui.
Mais la Suisse a montré qu’elle pouvait mobiliser suffisamment de ressources pour ne pas dépendre de l’Union Européenne …
Il ne faut pas se tromper de combat en matière de recherche scientifique. De nos jours, la recherche est devenue incroyablement compétitive: un petit pays, aussi prospère qu’il soit, ne peut simplement pas tenir tête à des nations dont la taille est à l'échelle de l'Europe entière, et qui peuvent engager d'immenses moyens financiers et humains dans la recherche. On ne peut pas rester à la pointe de la recherche si on est isolé : la compétition est simplement trop grande.
Il faut réaliser qu’on ne va pas tenir le coup très longtemps si on ne peut pas avoir accès à un grand bassin de compétences et de financements : il n’existe presque plus de domaines de recherche dans lesquels un petit laboratoire peut travailler hors des réseaux, faire ses découvertes et ensuite les exploiter sans être rapidement dépassé par de grands consortiums. Les scientifiques suisses doivent donc avoir accès aux initiatives internationales et avant tout européennes qui concernent de larges domaines de recherche. Ce n'est pas seulement une question de fonds, mais aussi une question d'expertise.
Quel impact l’Université de Lausanne pourrait-elle craindre pour son développement en cas d’acceptation de l’initiative?
Au cours des dernières décennies, l’UNIL a acquis un statut international. Laissez-moi donner deux exemples qui montrent les bénéfices qu’elle tire à fonctionner dans des réseaux qui dépassent les frontières suisses.
Je commencerai par le Centre du cancer. Il est unique en Suisse et largement présent dans les réseaux scientifiques à l’échelle mondiale. Il le doit à une magnifique collaboration entre des professeurs et chercheurs venus de tous les pays, y compris de Lausanne et du reste de la Suisse. Ils apportent à Lausanne des compétences acquises aux quatre coins du globe. Ce centre permet de grands espoirs dans les années à venir en faveur des malades du cancer. Sa création a été accélérée par un investissement massif de la fondation américaine Ludwig, qui n’aurait pas choisi Lausanne comme l’un de ses centres mondiaux si nous n’avions pas fait partie des réseaux internationaux de coopération scientifique.
L’autre exemple nous est fourni par Jacques Dubochet. Doté d’une excellente formation de base acquise à Lausanne puis à Genève et à Bâle, il a pu joindre le prestigieux Laboratoire européen de biologie moléculaire de l’Université de Heidelberg en Allemagne. C’est là qu’il a développé la recherche qui lui a valu de partager le prix Nobel 30 ans plus tard avec un chercheur américain et un chercheur anglais. Jacques Dubochet est ensuite retourné à l’UNIL où il a poursuivi et développé sa recherche et fait bénéficier des générations d’étudiants lausannois du savoir acquis ailleurs.
Il est vital pour l’UNIL et les universités suisses qu’elles puissent se maintenir au sein des réseaux de la recherche scientifique internationale pour rester compétitives et dispenser une formation scientifique de pointe.