Une étude menée au Département des neurosciences fondamentales de l'UNIL montre comment le placozoaire, un animal sans système nerveux, peut coordonner toutes les cellules de son corps pour adopter des comportements complexes. Les résultats permettent de mieux comprendre le développement de systèmes nerveux plus élaborés, comme celui de l’Homme.
Les placozoaires, considérés comme les animaux les plus simples qui soient, sont essentiellement représentés par un petit organisme marin d'un à deux millimètres de diamètre nommé Trichoplax adhaerens (littéralement, un animal « plat poilu adhésif »). Très répandus dans les mers tempérées et chaudes, ils se promènent sur les fonds marins de faible profondeur.
Ces animaux sont formés de seulement trois couches cellulaires, ne possèdent pas de véritables cellules nerveuses ou musculaires et a fortiori pas de système nerveux ou d’autre organe. Pourtant, ils sont capables de coordonner la forme et les mouvements de leur corps.
Des recherches réalisées par l'équipe de Dirk Fasshauer, professeur associé au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de biologie et de médecine de l'UNIL révèlent que chez les placozoaires, la communication entre les cellules s’effectue grâce à de petits peptides. Ces molécules correspondent à des groupements d’acides aminés qui jouent un rôle essentiel dans la structure, le métabolisme et la physiologie des cellules des êtres vivants. Les résultats de leurs travaux, réalisés en en collaboration avec des chercheurs des universités d'Exeter (Royaume-Uni) et d'Hanovre (Allemagne), ont été publiés le 18 octobre 2018 dans la revue scientifique Current Biology.
Les peptides influencent le comportement des animaux
Les scientifiques ont découvert que les placozoaires possèdent différentes populations de cellules clairsemées dans l'organisme, qui synthétisent et secrètent chacune de petits peptides de 4 à 20 acides aminés détectés par les cellules voisines et servant alors de moyen de communication. Les expériences ont révélé que l’ajout de peptides modifie le comportement de l’animal en l’espace de quelques secondes. Chaque peptide a un effet unique, parfois très spectaculaire, comme le recroquevillement, le retournement ou encore l'aplatissement du placozoaire (voir la vidéo ci-dessous).
« Ces résultats font écho à la façon dont des organismes animaux plus complexes comme l'Homme utilisent des peptides similaires, connus sous le nom de neuropeptides, pour la signalisation au sein du système nerveux », explique Frédérique Varoqueaux, postdoctorante au Département des neurosciences fondamentales de l’UNIL et première auteure de l’étude.
Gáspár Jékely, professeur au Living Systems Institute (Exeter) et coauteur de la recherche, estime qu'un tel système de signalisation permet une organisation comportementale très complexe. « Les peptides peuvent servir individuellement, mais peuvent aussi être utilisés successivement ou ensemble dans des combinaisons différentes, ce qui permet une grande diversité et spécificité de signalisation entre les cellules. Ceci explique comment les placozoaires arrivent à coordonner des séquences comportementales sophistiquées comme la prise de nourriture. »
Dirk Fasshauer, qui a dirigé l’étude, ajoute que « ces nouvelles découvertes montrent que les apparences sont parfois trompeuses puisque des cellules qui se ressemblent morphologiquement émettent des messages différents et ont très probablement des fonctions spécifiques ».
De la mer à la Terre
« Il peut sembler étrange d'utiliser un animal sans neurone ni synapse pour étudier l'évolution du système nerveux. Mais, bien que les placozoaires n'aient pas de cellules nerveuses à proprement parler, ils contiennent (déjà) des cellules spécialisées équipées des molécules caractéristiques de la communication des systèmes nerveux complexes », détaille Frédérique Varoqueaux.
L’étude des placozoaires aide ainsi à mieux comprendre comment des structures multicellulaires simples ont évolué pour donner naissance, chez les animaux plus complexes comme l'Homme, au système nerveux, chargé de transmettre et coordonner les signaux entre les différentes parties du corps.
>> Découvrez la vidéo (accélérée) de placozoaires traités avec l'un des peptides (appelé LF) analysés dans l'étude. L’expérience réelle dure 30 minutes et le peptide a été ajouté après 15 minutes (décompte en bas à droite de la vidéo). Il induit l'aplatissement – et donc une impression de grossissement–, ainsi que la rotation des animaux.