Une population sud-africaine et des rats dont l’amygdale – une structure du cerveau qui sert de centrale d’alerte – dysfonctionne restent figés face à une menace. En identifiant les mécanismes neuronaux responsables, des scientifiques de l’UNIL ouvrent la voie vers une meilleure compréhension de la maladie d’Alzheimer. Leurs travaux ont été publiés dans la revue "CELL" le 18 octobre 2018.
Un chien qui montre les crocs, une odeur de brûlé, une ruelle sombre… Et, subitement, une respiration qui se fait plus intense, un cœur qui bat la chamade. C’est l’amygdale qui, guidée par les sens (ouïe, vue, odorat), s’active. Grosse comme une amande, cette structure présente à double dans le cerveau, à proximité des oreilles, fait office de système d’alarme en cas de menace. Son fonctionnement précis chez l’Homme reste cependant méconnu.
Augmentation de la peur primitive
Dans une étude publiée le 18 octobre 2018 dans la revue scientifique CELL, Ron Stoop, professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et chercheur au Centre de neurosciences psychiatriques du CHUV, s’est intéressé à une partie spécifique de l’amygdale, appelée basolatérale.
En collaboration avec des chercheurs en psychologie et psychiatrie des Universités de Utrecht (Pays-Bas) et du Cap (Afrique du Sud), son Unité de recherche sur la neurobiologie de l'anxiété et de la peur s’est penchée sur des patients souffrant de la maladie, très rare, d’Urbach Wiethe. Suite à une mutation génétique, une petite population sud-africaine souffre d’une calcification totale de la partie basolatérale de l’amygdale.
« Les tests effectués sur place montrent que, face à une menace imminente, ces personnes expriment davantage de peur primitive », explique Ron Stoop. En d’autres termes, confrontées à un stimulus nocif (ici la potentielle réception d’une petite décharge électrique), elles ont tendance à se figer et certains réflexes (clignements des yeux, sursauts) induits par la peur sont plus prononcés que dans la population générale. Bloqués, ces patients manifestent de grandes difficultés à prendre activement des mesures pour échapper au danger.
A Lausanne, l’équipe de Ron Stoop a obtenu les mêmes résultats lors d’une expérience similaire réalisée avec des rats dont la partie basolatérale de l’amygdale avait été provisoirement inhibée.
Interactions neuronales
Normalement, les comportements primitifs sont régulés dans la partie centrale de l’amygdale. Un circuit dit « inhibiteur » entre différents neurones empêche l’organisme de se figer. Alors pourquoi les rats et les malades d’Urbach Wiethe – dont l’amygdale centrale fonctionne parfaitement mais dont l’amygdale basolatérale est défaillante – restent-ils pétrifiés face au danger ?
« En étudiant les interactions entre ces deux parties du cerveau, nous avons trouvé que certains neurones présents dans l’amygdale basolatérale activaient directement le circuit inhibiteur situé dans l’amygdale centrale. Ce mécanisme n’était pas connu », indique le professeur. Une défaillance de l’amygdale basolatérale (ainsi que des cellules et circuits qui y sont liés) rompt donc la transmission de l’information vers sa voisine. Plus rien n’empêche les sujets étudiés de se figer.
Le pouvoir de l’ocytocine
Dans leurs travaux, les chercheurs ont finalement montré que ce dysfonctionnement pouvait être compensé par l’ocytocine. Cette hormone secrétée par le cerveau a été administrée aux rats et leur a permis de recouvrer un comportement actif. Elle a réduit leur sentiment de peur et leur a donné le courage de prendre la fuite.
« Les malades d’Urbach Wiethe pourraient donc théoriquement être soignés avec de l’ocytocine », se réjouit Ron Stoop. Mais, plus important, ces résultats permettent d’envisager des traitements contre des maladies neurodégénératives plus répandues.
Des tests sont par exemple en cours au Service universitaire de psychiatrie de l'âge avancé du CHUV pour comprendre si les patients souffrant de la maladie d’Alzheimer – pathologie qui endommage la partie basolatérale de l’amygdale – se figent aussi davantage et expriment des difficultés à agir face au danger. Si tel est le cas, l’ocytocine constituerait une piste thérapeutique prometteuse pour les aider à mieux gérer l’anxiété provoquée par leur maladie.